grenetx.jpg Xavier Grenet, Responsable national du MCC de 1990 à 1993, longtemps DRH au sein du groupe Saint-Gobain, bénévole d’accompagnement en soins palliatifs





Comment « rendre compte de l’espérance qui est en nous » (1 P 3, 15), être fidèle à notre vocation de baptisé dans nos vies familiales et sociales et, singulièrement, dans l’exercice de nos responsabilités professionnelles ? Tenter de répondre à cette question ne va pas sans audace. Xavier Grenet en prend le risque, porté par le désir de témoigner de ce qu’il a reçu du MCC et de rendre grâce, de transmettre un peu de ce que lui a enseigné notre mouvement si fortement marqué par la spiritualité ignatienne, cette source vive qui l’irrigue depuis sa création.

Qu’on me pardonne de me référer inévitablement à ce que j’ai vécu ou essayé de vivre, hier dans mes fonctions de DRH, comme aujourd’hui dans mes engagements de retraité, et de donner ainsi à ces lignes un caractère parfois personnel. Je le fais avec au cœur deux sentiments. La crainte qu’il n’y ait un écart entre mes mots et ma pratique, que je sois de ceux que dénonçait Jésus, parce qu’ « ils disent et ne font pas » (Mt, 23, 3) – ou disent, à tout le moins, mieux qu’ils ne font. Mais également un sentiment de confiance, puisque nous sommes en quête du même Seigneur auquel nous redisons avec Simon-Pierre : « À qui irions-nous ? Tu as les paroles de la vie » (Jn 6, 68).

En quoi ces paroles peuvent-elles nous éclairer, nous guider dans tous les aspects de nos existences et nous donner la force, jusque dans le monde du travail, de rendre compte de notre espérance ?

[*Faire l’unité de nos vies*]
Au moment de passer le relais de l’aumônerie nationale au père Henri Madelin, le père Jacques Orgebin nous avait laissé ces mots essentiels, en forme de testament : « Mes dix années au MCC m’ont profondément ancré dans ma vocation de jésuite. En ce sens qu’un des points fondamentaux de la spiritualité de saint Ignace, c’est d’être unifié, de ne pas mettre d’un côté ce qui relèverait de la relation à Dieu, et d’un autre, ce qui relèverait de la relation au monde. Ce qui est important – et c’est une tâche jamais achevée – c’est de réaliser cette unité intérieure, de sorte que dans toutes nos décisions, l’Esprit soit à l’œuvre. Cette ligne de conduite n’est pas réservée à des prêtres ou à des religieux, mais elle peut – et doit – aussi rencontrer de fortes résonances chez les laïcs. » Puisse-t-elle en rencontrer chez chacun de nous !

L’insistance sur l’unité de nos vies est l’une des valeurs clés du MCC. « Celui qui n’aime pas son frère, qu’il voit, ne peut pas aimer Dieu qu’il ne voit pas », écrivait saint Jean dans sa première épître (4, 20). Le singulier ne doit pas nous tromper, ce frère est pluriel : ce sont les membres de nos familles, les hommes et les femmes de nos relations amicales et sociales, ceux de nos vies professionnelles, que je les dirige ou que je leur rapporte, que je les engage ou que je les licencie ; ce sont les partenaires sociaux autant que les dirigeants et les cadres, ce sont mes collègues, mes clients, mes fournisseurs, mes actionnaires. Et comment oublier les demandeurs d’emploi et tant d’autres encore ?

La foi chrétienne ne peut être cantonnée dans une sphère intime ou personnelle ; elle a quelque chose à dire dans l’organisation de notre « vivre ensemble », et d’une façon très concrète pour nous aujourd’hui, dans celle du travail. Nous pressentons qu’il y a là une vérité profonde, mais qui nous fait peur peut-être, si grande semble être la distance entre les contraintes de l’économie et l’esprit des Béatitudes. Le milieu de l’entreprise est la concurrence qui sélectionne et élimine, quand l’Évangile nous invite à l’accueil ; l’environnement dans lequel elle se développe est le monde de l’argent, du calcul, du conflit, quelquefois même de la violence. Et Jésus, toujours, préfère les pauvres, les humbles, les doux, les artisans de paix.

Mes responsabilités professionnelles m’ont fait éprouver – parfois douloureusement – la difficulté à tenir ensemble ces exigences apparemment contraires : ici, la logique de la guerre économique, et là, cette autre qui vient de l’Évangile, la logique de la brebis perdue (Mt 18, 12-14 ; Lc 15, 3-7). Bien des situations concernant des personnes furent pour moi la cause de tourments et de remises en question, quand ce n’est pas d’un véritable combat – humain, spirituel – où le MCC, comme d’autres lieux d’Église, m’a été un soutien et une force. Sans l’Eucharistie, la prière, ni nos échanges fraternels en équipe, aurais-je su reconnaître dans les événements un appel à être davantage attentif à chacun dans l’entreprise ?

Il nous faut réentendre les lumineuses exhortations de saint Paul aux communautés d’Éphèse et de Thessalonique : « Discernez ce qui plaît au Seigneur. Ne vous associez pas aux œuvres stériles des ténèbres » (Ep 5, 10-11) ; « N’éteignez pas l’Esprit (…) ; examinez tout avec discernement : retenez ce qui est bon ; tenez-vous à l’écart de toute espèce de mal » (1 Th 5, 19-22).

[*L’expérience du discernement spirituel*]
J’ai cité l’apôtre des Gentils, je ne puis éviter de me reporter également à l’Évangile et aux épîtres de saint Jean, tant la réalité du discernement spirituel, à défaut du mot, y est présente à chaque page.

Saint Paul, saint Jean. Plus près de nous, saint Ignace – et plus près encore, sans que cela puisse nous étonner, le pape François : le mot discernement a une résonance jésuite.

Discerner, c’est faire silence, afin de me rendre attentif à ce qui se passe en moi, prendre conscience de ce combat que j’évoquais et que se livrent en chacun l’Esprit de Dieu et l’esprit du mal. C’est me donner le temps de m’arrêter pour faire le point, tenter de voir clair, m’ouvrir au Seigneur. Bien d’autres en ont parlé ou le feraient infiniment mieux que moi, mais aussi insuffisant, précaire qu’il ait été et soit encore, ce travail intérieur m’a souvent éclairé, guidé, particulièrement lorsque je devais prendre des décisions lourdes ou difficiles. Je n’ai pas l’autorité de ceux qui enseignent, mais un grand désir de transmettre ce trésor que j’ai reçu, et qui doit tant au MCC.

L’Esprit du Seigneur met dans nos cœurs la joie, la paix, la bienveillance, comme saint Paul le révélait aux Galates (Ga 5, 22). Il éclaire nos choix, nous fait avancer, décider, oser, prendre des risques, et sa présence nous aide à inscrire nos actions dans la durée.
La joie. C’est elle qui m’a porté, stimulé dans les longues heures d’écoute de ma vie de DRH ; elle qui nous a encouragés, Agnès et moi, il y a près de trente ans, lorsque nous avons accepté de devenir responsables nationaux du MCC : nous avons dit oui pour la joie. Et c’est elle encore qui m’habite, chaque semaine, lorsque j’accompagne des personnes en fin de vie.

Une bonne décision est celle qui m’unifie intérieurement, qui me réconcilie avec moi-même, qui me donne de la joie.

Merci au MCC de m’avoir permis de commencer, même trop timidement, à le comprendre – et à en vivre.

[/Xavier Grenet/]