Moins d’un an après la loi El Khomri, le nouveau gouvernement a entrepris une réforme du code du travail par ordonnances. Un moyen « d’aller plus vite » et de contourner la contestation sociale, les ordonnances permettant d’éviter toute surenchère entre les navettes parlementaires. Est-ce moralement juste ?

Pour répondre à cette question, je me limiterai à discuter un principe de justice qui a été évoqué plusieurs fois pendant la concertation : le principe de subsidiarité. Il s’agit d’un principe d’origine germanique, puis protestant, introduit dans la Doctrine sociale de l’Église par Pie XI dans une encyclique publiée à l’occasion du 40ème anniversaire de Rerum novarum, Quadragesimo anno.

« Il n’en reste pas moins indiscutable qu’on ne saurait ni changer ni ébranler ce principe si grave de philosophie sociale : de même qu’on ne peut enlever aux particuliers, pour les transférer à la communauté, les attributions dont ils sont capables de s’acquitter de leur seule initiative et par leurs propres moyens, ainsi ce serait commettre une injustice, en même temps que troubler d’une manière très dommageable l’ordre social, que de retirer aux groupements d’ordre inférieur, pour les confier à une collectivité plus vaste et d’un rang plus élevé, les fonctions qu’ils sont en mesure de remplir eux-mêmes. » (QA 86).

Les ordonnances troublent-elles « l’ordre social » que mentionne Pie XI ou rétablissent-elles la négociation sociale plus près du terrain ?

Démocratie sociale ?

Les ordonnances privilégient les négociations au sein même de l’entreprise. Cette dernière retrouve donc des marges de manœuvre qu’un code du Travail trop complexe avait rigidifiées. Dans les grandes entreprises, les négociations se passent bien quand l’équilibre des pouvoirs est respecté. Mais les petites entreprises n’ont ni les moyens, ni les structures, ni la culture pour organiser la démocratie sociale en leur sein et les ordonnances témoignent d’une certaine méfiance à l’égard d’un contre-pouvoir syndical. Dans les petites entreprises, on se passera d’un mandataire syndical et la possibilité est donnée à l’employeur d’organiser un référendum sur tous les sujets.

Faiblesse syndicale

À la suite de la concertation du mois d’août, les ordonnances ont bien élargi le rôle de la branche qui forme l’ossature de la protection des travailleurs : classification, salaire minimum, égalité homme-femme. Le droit du travail pourra alors être mieux adapté à la spécificité des professions, dans un cadre législatif assoupli. On peut regretter qu’il reste très souple sur le travail de nuit et le repos hebdomadaire. Surtout, les ordonnances ne s’attaquent pas suffisamment à la cause centrale de la faiblesse du dialogue social en France.

Avec 4 à 5 % de salariés syndiqués dans le secteur privé, la France se situe dans les derniers parmi les pays de l’OCDE. Dans les autres pays, plus les salariés sont adhérents, plus les syndicats sont réformistes.

Paradoxalement, quand Emmanuel Macron ne cesse de faire appel à la responsabilité de tous, il risque de contribuer à la faiblesse des partenaires sociaux. Quels relais entretenir pour une transformation profonde de la société ? C’est la culture de la démocratie sociale qu’il importe d’instituer, à tous les échelons, en commençant par le plus bas. Il faudra du temps pour rétablir la confiance nécessaire. Des ordonnances venues d’en haut accélèreront-elles le processus ?

Relancer le dialogue social avec tous

Le principe de subsidiarité marche dans les deux sens.

Négativement, il interdit à l’État d’intervenir dans ce qui relève des corps intermédiaires. Positivement, l’État doit suppléer les corps intermédiaires si ceux-ci n’arrivent pas à s’entendre dans la recherche du bien commun ou à faire respecter la dignité de la personne humaine.

L’État doit donner le cadre et les moyens de la démocratie sociale. Mais il ne peut la faire fonctionner à sa place.

 

La réforme du code du Travail ne sera juste que si elle relance le dialogue social avec tous, à tous les échelons et sur tous les sujets.

Le dialogue avec les chômeurs a été remis à plus tard, et les emplois aidés sont sacrifiés de manière abrupte. Si le patronat se réjouit des marges de manœuvre supplémentaires, les syndicats réformateurs sont déçus. Le rôle des prudhommes a été encadré, sauf en cas d’abus de pouvoir.

Les ordonnances veulent « libérer le travail » et par là rêvent de relancer durablement la croissance. Mais les limites d’une certaine vision de croissance, une croissance fondée sur la compétition et la flexibilité, rappelées avec force par le pape François dans Laudato si’, appelleraient un débat plus large.

Bertrand Hériard-Dubreuil, jésuite, aumônier national