Jean-Charles Hourcade
Directeur de recherche CNRS au Centre international de recherche sur l’environnement et le développement (Cired) et auteur du rapport de synthèse du 6e rapport du GIEC
analyse
Climat : éviter une pastorale de la peur
Climat rime avec éco-anxiété, impuissance mais aussi refus de contraintes. Pour Jean-Charles Hourcade, les conflits d’urgence entre pays du ''Nord'' et ceux du "Sud'' doivent être remis en perspective pour enclencher de nouvelles dynamiques de coopération.
L’ambiance autour des enjeux climat est faite d’éco-anxiété pour une partie de la jeunesse, de sentiment d’impuissance devant le report de certaines mesures ou la relance du charbon mais aussi de refus de tant de contraintes, la France ne représentant que 1 % des émissions mondiales. Et les divisions sont médiatiquement mises en scènes (le nucléaire, l’aérien, l’agriculture, “l’écocide” de TotalEnergies). La punchline médiatique, “le GIEC dit qu’il faut limiter le réchauffement à 1,5 ° C, sinon c’est la catastrophe ; mais les solutions sont sur la table et tout est affaire de volonté politique”, y est pour quelque chose.
Elle a réveillé les consciences mais ouvert la voie à de multiples injonctions mobilisant une pastorale de la peur et des postures name and shame que certains vivent comme un désir de dictature éclairée, d’où peut-être le succès du livre de Christian Gérondeau sur la “science-fiction du GIEC”.
Un dangereux conflit d’urgence climat/pauvreté
Or, si on suit la synthèse du sixième cycle du GIEC, substituer 1,5 °C au “well-below 2 °C” de l’Accord de Paris n’est pas justifié : les scénarios visant 1,5 °C et ceux visant 2 °C ont le même pic de température à 1,7 °C vers 2080, pour retomber à 1,4 et 1,6 °C en 2100. Les seconds donnent 2075 comme date de neutralité carbone au lieu de 2050, du temps nécessaire pour absorber la hausse des prix des énergies, maîtriser les innovations et sortir du consumérisme mais surtout pour éviter un dangereux conflit d’urgence climat/pauvreté : l’objectif de 1,5 °C strict interdit l’exploitation de nouveaux gisements d’hydrocarbures alors qu’on ne peut fournir aujourd’hui des alternatives à un coût qui ne fasse pas exploser la facture énergétique des 3,8 milliards d’humains vivant avec moins de 6,85 $ par jour.
Si les pays du ‘Sud’ laissés à eux-mêmes devaient arbitrer entre des coûts immédiatement tangibles pour leur population et les bénéfices de 0,2 °C en moins de réchauffement en 2100, leur choix serait évident et on atteindrait des hausses de températures de 3 °C avec des dommages dérapant au-delà des capacités d’adaptation sans heurt des sociétés.
Une coopération financière souhaitable
Pour éviter que ces pays du ‘Sud’, où 60 % des investissements bas carbone devraient être opérés, fassent ce choix, il faut réduire les coûts financiers qui bloquent des projets aujourd’hui viables via des garanties publiques accordées par le ‘Nord’ dans un cadre multilatéral et l’émission par le système financier d’obligations gagées sur ces projets que pourra acheter un jeune cadre inquiet pour sa retraite, de préférence à des placements immobiliers et fonciers.
Faire de l’enjeu climat un horizon pacificateur
Le défi climatique nous invite à “scruter nos désordres” (E. Mounier) et non à creuser ou inventer des lignes de division qui retardent l’action. Il demande de débattre d’une plate-forme minimale pour établir un cercle de confiance entre des pays en conflits latents – voire ouverts – autour de la transition bas carbone comme moyen de répondre à leurs urgences immédiates et d’enclencher de nouvelles dynamiques de coopération porteuses de gains réciproques. Faire de l’enjeu climat un horizon pacificateur dans le monde tel qu’il est, et non dans le monde parallèle des prophètes du malheur, voilà de quoi détourner les jeunes français de la fascination pour le no future.