Être jeune c’est bien souvent se trouver face à une indétermination manifestant une angoisse fondamentale : « que vais-je faire », « que vais-je devenir ? ». Benoît de Maintenant explore ce sentiment d’angoisse peu explicité par les jeunes et le désir qu’il cache. Comment éclairer spirituellement leur recherche de sens ? Il nous partage ses convictions pastorales.

Je me souviens, en dernière année d’étude de commerce, avoir rencontré un jeune professionnel. Il travaillait depuis 6 mois, à mes yeux c’était un « vieux ». Pour les « jeunes », celui qui est de l’autre côté de l’indétermination, dans « l’après décision », est déjà un vieux. Si je prends cet exemple personnel, c’est à dessein pour préciser que je n’ai pas la prétention de parler « des jeunes » mais de ce qui me touche dans leurs recherches. Le propos qui suit est donc résolument subjectif.

L’angoisse fondamentale de l’indétermination

Dès les classes de collège, parfois même au primaire, on demande à un enfant ce qu’il veut faire plus tard et une réponse semble attendue. Quelle pression énorme, « je dois savoir ce que je vais faire de ma vie » !

Il y a une première manière de faire tomber l’angoisse : répondre à la question avec des « solutions » faciles. Ainsi, on veut devenir « ingénieur », « faire du commerce » ou être « chargé de projet ». Ces expressions sont passe-partout, ce sont des « mots poubelle » sans beaucoup de sens concret et réel, des mots qui hébergent trop de réalités et n’aident pas à savoir « qui je suis ». Mais avoir répondu rassure et évacue le problème en apparence. Une autre manière de fuir la question est la « distraction ». Remplir l’agenda avec du sport, des jeux, de l’informatique, de l’alcool ou des drogues, une vie sociale, affective ou sexuelle surchargée, des engagements associatifs débordants. Cette suractivité fait oublier temporairement la question « que faire plus tard ? » et elle ne permet pas de l’affronter.

La réponse est toujours indéterminée mais n’est-ce pas une bonne nouvelle qu’il faille inventer du neuf pour y répondre ?

Accompagner les jeunes revient à les orienter vers une nouvelle question : « qui es-tu ? », « qui veux-tu devenir ? » ou encore « où demeures-tu ? » (Jn1). La réponse est toujours indéterminée mais n’est-ce pas une bonne nouvelle qu’il faille inventer du neuf pour y répondre ?

Le désir, envers de l’insatisfaction

Accepter ses manques, les observer, les aimer et les interpréter permet de chercher son désir profond

Avec l’indétermination apparaît une autre réalité, celle de l’insatisfaction qui peut être relationnelle, affective, professionnelle. Les jeunes rongent leur frein de ne pas être assez utiles, de ne pas changer le monde, de ne pas être généreux ou bien payés… La vie passée et présente ne comble pas. Accepter ses manques, les observer, les aimer et les interpréter permet de chercher son désir profond. À l’accompagnateur de trouver le cadre qui permet de passer de l’insatisfaction au désir et du désir à la décision, tout en écoutant l’impatience grandissante à la même vitesse que les découvertes.

Mais patience avant d’agir trop vite, il faut vivre sereinement le travail de l’impatience et croire que l’avenir est une promesse, non une menace. Dans un premier temps, le jeune découvre son désir, dans un second, il cherchera quel professionnel il peut être.

Quelques pistes de désirs

Le défi est de découvrir que le résultat seul ne compte pas, la manière de procéder a de l’importance : être à plusieurs dans l’aventure, bien s’entendre, être efficace avec le sourire…

Face aux désirs exprimés, il s’agit de proposer des pistes d’approfondissement. L’idée est de montrer ce qui est à chercher derrière un désir encore vague. L’envie de « sens » montre que l’action doit être orientée vers des valeurs ou une cause. L’absolu s’y exprime en termes d’impact mondial : changer les choses au niveau planétaire / des structures. Le défi est de découvrir que tout projet commence par un premier pas courageux, souvent modeste.

L’envie d’être « utile » souligne la dimension relationnelle du désir. Il faut quelqu’un pour être utile. Evidemment, l’utilité se définira de manière extrêmement diverse, d’une conception ou d’une valeur à l’autre. L’enjeu, ici, est de découvrir que le résultat seul ne compte pas, la manière de procéder a de l’importance : être à plusieurs dans l’aventure, bien s’entendre, être efficace avec le sourire…

L’envie de « liberté », enfin, est plus difficile à définir. Elle traduit le désir de larges horizons, d’un temps vaste où l’on fait « ce que l’on veut ». Les expériences comme Erasmus, des stages à l’étranger sont des moments où les jeunes « font la fête » : ils ne savent cependant pas dire ce qu’ils ont vécu dans un voyage d’échange sinon que « c’était super », « un truc de dingue », « génial ! ». Or ils sont entrés dans des relations neuves, moins normalisées, moins conditionnées par les standards sociaux. La question « tu es de quelle école ? » n’a aucun sens à Sydney. Ils découvrent une ouverture à l’autre plus spontanée et naturelle. À nous de les aider à parler !

Quelques difficultés pour accompagner la croissance du désir

L’indétermination reste présente bien qu’une lumière nouvelle change la perspective d’ensemble

Les jeunes doivent accepter le fait que le domaine du désir ne soit pas quantifiable. Une découverte n’entraîne pas de résultat mesurable, elle apporte seulement un peu de joie à un moment. Par exemple, un mot clé devient riche de sens, il héberge une histoire, éclaire le présent et l’avenir. Certains découvrent avec profondeur qu’ils veulent servir, faire grandir, initier des projets ou connaître les autres en profondeur. Ces mots clé ne résolvent pas le « comment y parvenir » mais ils orientent la vie. L’indétermination reste présente bien qu’une lumière nouvelle change la perspective d’ensemble.

Autre difficulté : aider au silence. D’une part, les jeunes ont beaucoup d’activités et de sollicitations, d’autre part ils ont peur, en s’arrêtant, d’être face à eux-mêmes, face à l’angoisse et au vide. Ils n’imaginent pas que le silence révèle. Comment leur donner confiance en eux ou confiance en Dieu ? C’est à cette condition qu’ils s’autoriseront à « débrancher » pour chercher.

Quelle est la place du Christ ?

Pour certains, il n’y a explicitement pas de notion de foi chrétienne dans leur vie. Personne ne leur pose la question « Où demeures-tu ? ». Pourtant, ils ont des désirs et cherchent à les honorer. Je pense en particulier aux personnes soucieuses d’écologie. Elles ont une démarche de foi : elles ignorent complètement l’avenir mais elles ont cette espérance que le monde bougera dans le bon sens. Par contre, ignorantes des traditions spirituelles, elles ne se rendent pas toujours compte que leur vie intérieure est soumise à des alternances normales que j’appellerai volontiers des consolations et des désolations. Certains jours, elles sont saisies par un catastrophisme criant, d’autres par une espérance un peu folle. Dire où elles demeurent éclaire la manière d’accueillir le désir dans chacun de ces moments.

Cette promesse n’est pas une évidence de ce qui advient mais la foi que le chemin va être passionnant

Pour le chrétien, la chance est d’avoir explicitement cette question à entendre et de savoir qu’elle est juste. Toute réponse, même partielle, est une bonne nouvelle. Que je demeure dans l’angoisse, dans l’insatisfaction ou le désir encore inassouvi, que je sois en train de chercher ou de créer, je prends à bras-le-corps l’invitation du Christ à demeurer. Patience, ce travail avancera en confiance vers une création nouvelle, un avenir ouvert. Cette promesse n’est pas une évidence de ce qui advient mais la foi que le chemin va être passionnant.

Benoît de Maintenant, jésuite, est préfet des études en classes préparatoires du lycée Sainte-Geneviève à Versailles depuis deux ans et a été aumônier en grandes écoles pendant six ans. Auditeur pendant quelques années après une formation en école de commerce, il a été ordonné prêtre en 2017.