Marchés financiers contre économie réelle : ce 1er Débat, riche en rebondissements, a cherché à dépasser une opposition trop facile entre les deux sphères, il a par ailleurs posé clairement la question de l’éthique des comportements.


Pierre Lecocq, directeur général délégué de Inergy Automative Systems, et Paul Jorion, anthropologue et économiste, ont mené un débat courtois et vigoureux à la fois. Ils étaient pourtant sur la même ligne de départ, à savoir la fracture qu’ils constatent entre les entreprises et la sphère financière. Les entreprises cherchent à se préserver de la financiarisation rampante de l’économie dans la mesure du possible (P. Lecocq), sachant que les marchés financiers se désintéressent de la réalité économique des entreprises (P. Jorion) comme le montrent les mécanismes actuels des opérations boursières ou encore l’évolution des normes comptables (qui réduisent l’entreprise à sa valeur marchande immédiate).

Il en résulte une grave crise de confiance, une peur de l’avenir qui nourrit la demande de rentabilité à court terme et entrave le financement des projets stratégiques. Elle est aussi aggravée par les mécanismes spéculatifs sur les rendements escomptés d’opérations à risque. Il convient de noter avec Paul Jorion que, historiquement, les dérives du capitalisme financier sont favorisées par le développement du capitalisme industriel, qui a multiplié ses besoins de financement à la mesure de projets de plus en plus coûteux.

Au total, le principal danger de la situation de crise financière pour les entreprises reste bien celui du resserrement du crédit, quand bien même une bonne stratégie aurait pu leur permettre jusqu’à présent de miser au mieux sur leur croissance interne et leur capacité d’autofinancement. Pierre Lecocq s’est livré à un plaidoyer très net pour restaurer les stratégies de long terme et desserrer l’étau des critères de rentabilité immédiate.

Le débat s’est rapidement emparé d’une autre dimension, qui touche à l’éthique des affaires et aux comportements des responsables économiques et/ou financiers. Que vaut aujourd’hui la notion de bien commun dans les décisions ? Peut-on parler de la préoccupation du collectif, ou de choix guidés seulement par l’intérêt individuel ? Commençons par noter la convergence des deux intervenants sur la nécessité de mettre davantage d’éthique dans les décisions et les comportements, dans tous les domaines de responsabilité, politiques, économiques, financiers. Cependant la rémunération des dirigeants a constitué un terrain de franche opposition entre eux, au point de masquer une divergence plus fondamentale dans leurs propos, me semble-t-il : la crise actuelle est-elle seulement un accroc, même s’il est majeur, dans le système économique mondialisé qui nous régit, ou bien est-elle l’annonce d’un changement de paradigme pour notre modèle économique et social ?

Christian Sauret

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