Parmi les Européens, les Français sont ceux qui attachent le plus d’importance au travail. Les personnes qui en sont privées expriment leur souffrance de ne pas en avoir et pourtant, pour beaucoup, le travail est un lieu de peine.


Le point commun de ces situations apparemment contradictoires a été bien mis en lumière pendant la session 2013 des SSF. Beaucoup d’intervenants ont montré que le bonheur « avec », « dans » et « par » le travail passe nécessairement par la participation consciente et reconnue que chacun et chacune (hommes et femmes à égalité) peut apporter aux « activités » – au sens le plus large du terme – de son entreprise – comprise comme « collectif de travail ».

Cette participation ou cette demande de participation des travailleurs a une dimension individuelle ; elle signifie reconnaissance, écoute et prise en compte de ses savoir – faire et de ses idées dans l’accomplissement, voire la conception, voire encore l’organisation des tâches afférentes au travail ; cette participation au bien commun de l’entreprise apparait plus nettement encore si l’on considère sa dimension collective : participation aux décisions concernant l’ensemble des travailleurs de la même « structure » (via notamment les organisations syndicales) : celles d’ordre stratégique, celles relatives aux politiques de formation des salariés.

Il y a 20 ans, la préoccupation, c’était le chômage et l’emploi. Elle se double aujourd’hui d’une interrogation sur la qualité du travail qui s’est largement détériorée. La reconquête du travail comme lieu où chacun trouve sa place et peut participer à une œuvre commune est un enjeu essentiel de cohésion sociale.
Pour aller en ce sens, il convient de reconnaitre et de faire toute leur place à trois espèces de « tiers », dans l’entreprise, avec l’entreprise, et hors de l’entreprise.
Tout d’abord, dans l’entreprise, il faut soutenir et promouvoir les acteurs déjà présents qui œuvrent pour que chacun s’approprie son travail. Il s’agit des tuteurs, des managers, des accompagnants syndicaux.

Ensuite il convient de considérer les « tiers lieux de parole » qui permettent de prendre de la distance et de progresser vers une participation effective et responsable. Ainsi nos mouvements, associations et syndicats apportent-ils, en dehors du lieu même de l’entreprise une contribution importante en ce sens. Sans doute faut-il aller plus loin et multiplier des espaces de parole au sein de l’entreprise où les choses puissent être dites en vérité – notamment les dysfonctionnements – et ou des avis contradictoires puissent être apportés. De tels lieux de reconnaissance permettent de renforcer le sentiment d’appartenance à une équipe et, dès lors, de chercher ensemble des solutions et de les mettre en œuvre. Les syndicats ont bien sûr un rôle à jouer en ce sens.

Enfin il convient de valoriser les autres formes de relation à l’activité, qu’il s’agisse d’autres formes de statut que l’activité salariée ou même rémunérée. On mettra ainsi en avant, en amont, les périodes de formation, mais aussi les interruptions, les périodes de formation continue, à la retraite les multiples activités mais aussi, bien sûr, tout au long de la vie, les formes bénévoles – ou purement gratuites – de travail. Tous en effet, d’une façon ou d’une autre, nous participons au bien commun.

La demande de participation est exprimée également par les « non-travailleurs » (les chômeurs, les personnes en insertion…) sur le plan individuel – par ex. via l’affirmation d’un « droit au parcours (d’insertion ou de réinsertion) concerté » ; un projet d’insertion réussi découle en effet d’un « processus » participatif et non pas imposé ; de plus, de nombreuses expériences montrent que la participation (par ex. celle de bénéficiaires du RSA à des instances de concertation) facilite ou accélère l’insertion.

C’est vrai encore pour ces « non-travailleurs » sur le plan collectif – par ex, via les Comités de liaison de Pôle Emploi permettant aux demandeurs d’emploi liés à des syndicats ou à des associations de faire entendre leurs attentes vis-à-vis de cette institution. Par leur participation aux nombreuses structures d’insertion par l’activité économique qui sont des lieux d’expérimentation, ils contribuent au dynamisme de l’économie sociale et solidaire ; celle-ci est un foyer remarquable d’invention de nouveaux métiers et de nouvelles formes d’emploi ; elle contribue ainsi non seulement à l’humanisation mais aussi à l’évolution de l’économie – et donc du travail. Ses bonnes pratiques reposent en effet sur une inversion managériale : non pas une personne pour un poste mais un poste pour une personne.

Dans le domaine de la formation, inséparable de celui du travail, la participation est un puissant levain -et levier – de changement personnel et collectif, social et économique. C’est elle qui contribue à une évolution positive des parcours : un « chercheur d’emploi » ou un employé d’une structure d’insertion peut ainsi devenir ou redevenir un travailleur et, en se formant, de nombreux salariés changent de métier et de niveau de responsabilité. L’utilisation du Compte Personnel de _ Formation créé par la loi du 5 Mars 2014 pourra renforcer ce processus grâce à ce droit « transférable » d’une situation à l’autre tout au long de la vie professionnelle ; la proposition des Semaines Sociales de créer un Livret Professionnel Universel « sorte de carte Vitale de l’emploi » s’inscrit dans la même logique mais ouvre également à d’autres dimensions plus vastes incluant d’autres droits, mais elle met aussi en lumière le fait que l’utilisation de ses droits à la formation peut-être le bon moyen de se préparer de manière responsable à une mobilité professionnelle qui pour beaucoup n’est plus choisie mais est inéluctable.

Encore faut-il que l’effort de formation soit mieux réparti entre les différentes formes d’entreprises par une mutualisation accrue des moyens, par de nouvelles règles incitant à une préférence envers les TPE, PME. Surtout, il est nécessaire non pas tant de mieux prévoir d’imprévisibles futurs métiers mais surtout de décloisonner le monde de l’entreprise et le monde de l’éducation. Cette mise en relation et en collaboration des partenaires se fera par expérimentations et non par planification, par valorisation du travail des « tuteurs » en entreprises (et globalement des formateurs) et par l’institution de lieux de rencontres entre acteurs.

Mais rien ne sera acquis tant que l’on ne prendra pas à bras le corps la question de la formation des précaires. Et ce non pas seulement par « bonne conscience » – même si leur participation est garante de la bonne qualité du lien social – mais parce que les outils et les pratiques mises en place avec et pour eux serviront de guide pour tous. Les territoires sont les bons lieux pour l’insertion par l’activité mais les clauses d’insertion sont sous-utilisées ou ignorées. Pour pallier cette ignorance il serait souhaitable de disposer, pour la formation, d’un guichet unique. Travailler des formations complémentaires pour les non qualifiés et déployer l’employabilité sont des impératifs : le coût comparatif de l’insertion par l’activité et du laisser-faire doit être mesuré sur le long terme.

Mais si la participation est source d’épanouissement de ses capacités – dans le travail actuel, un travail nouveau ou un travail retrouvé – et si elle contribue puissamment au « lien social », elle a un corollaire indispensable qui est la responsabilité : celle de l’individu, de l’entreprise, des partenaires sociaux, des structures de formation initiale et continue, de l’État.

Or nous sommes dans une situation qui nous invite à une responsabilité aiguisée. Faute de négocier plus tôt sur la flexicurité, on a vu se développer des types de contrats ou des formes de travail qui installent la précarité au cœur de l’emploi : CDD, stages, temps partiel subi, statut d’auto entreprenariat « imposé ». En cas d’échec, les personnes ne sont pas forcément indemnisées. Le salariat partagé entre plusieurs employeurs au travers de groupements d’employeurs ou autres est une alternative à la précarité et mérite d’être beaucoup plus développé.

Le télétravail permet une souplesse du temps de travail mais demande une grande vigilance. Le sentiment de travailler seul peut être compensé par la volonté de maintenir du lien social au travers par exemple des réseaux sociaux, des clubs d’entreprise, associations etc… Pour éviter le risque de précarisation, il est nécessaire de se tenir au courant en permanence des évolutions professionnelles, de prendre des initiatives, de se faire conseiller. On constate que ces nouvelles formes de travail obligent chacun à avoir une mentalité « d’entrepreneur ». Beaucoup en viennent à se demander : « comment créer moi-même mon travail ? » « Que puis-je inventer et proposer pour être maître de mon destin? »

C’est vu sous cet angle de la responsabilité que la flexicurité peut être une chance. Sous diverses formes et à différents niveaux, elle apparait comme le moyen d’allier l’accompagnement, l’organisation ou l’anticipation des changements économiques indispensables voire souhaitables et le bien-être des actuels ou des futurs travailleurs ; elle peut concilier dignité et sécurité d‘un côté, mobilité et adaptation de l’autre. Pour cela, une condition est essentielle : la flexicurité doit être perçue et mise en œuvre comme le meilleur instrument pour conjuguer de façon équilibrée les responsabilités de chacun des acteurs : entreprises, travailleurs, partenaires sociaux, collectivité publique… au service du bien commun.

Les « engagements réciproques » qui se développent actuellement – par ex. entre les personnes en insertion, leurs tuteurs, les employeurs et les organismes de formation ou dans le cadre de la mise en œuvre de la Responsabilité Sociale des Entreprises (en particulier dans leur relation avec les partenaires et les travailleurs de leur territoire d’activité) vont dans ce sens de la co-responsabilité des acteurs engagés dans un « dialogue social » à différents niveaux.

Signataires :

MCR, Monique Bodhuin, présidente ; Secours catholique, Jacques Lepage ; CCSC, Jean-Pierre Pascual, MCC , Chantal et Patrick Degiovanni, Responsables nationaux ; Semaines sociales de France Alain Heibrunn, Jean-Pierre Rosa; ACI, Pierre Fleutot, Président

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