L’avenir qui vient – page 174

Congrès du Bourget

Nous voici parvenus au terme de ce Congrès. Les témoignages entendus, les expériences rapportées au cours de ces deux jours ont fait la preuve que, pour orienter son avenir, notre Mouvement pouvait résolument prendre appui sur ce qu’il vit déjà aujourd’hui. Le titre choisi pour ce rassemblement n’a pas à être rangé dans la litanie des vœux pieux et inexauçables. Il exprime plus qu’un projet. Il se fait l’écho d’une volonté inscrite dans les faits.

L’espérance qui nous habite

Semeurs d’espérance : bien des hommes et des femmes de ce Mouvement l’ont été et le sont encore, de façon souvent cachée, souvent modeste, mais non moins évidente. De cela nous avons pu nous rendre compte. Tout ce qui a été dit aux différentes étapes de cette rencontre invite à ne pas désespérer des lendemains qui s’annoncent. Dans ce monde difficile où le choc des mutations de tous ordres n’épargne personne, il est encore possible de surmonter la résignation passive à la pression des événements et aux pesanteurs des situations. Il est encore possible de construire une société où chacun deviendra plus acteur et plus créateur. Il est encore possible d’inventer un avenir qui fasse droit à la dignité des hommes et particulièrement des plus pauvres d’entre eux.

Une même foi nous réunit

Ce désir de mettre un peu plus de justice dans la violence du monde ne se fonde pas sur une quelconque idéologie. Il trouve sa source dans notre foi au Christ, celle que nous avons célébrée ensemble à plusieurs reprises. Ce Congrès n’a pas seulement rassemblé des cadres, des ménages de cadres. Il a réuni des chrétiens disposés à s’aider mutuellement pour ne pas laisser tomber dans l’indifférence et l’oubli la parole de Jésus quand il appelle ses disciples à chercher le « Royaume de Dieu et sa justice ». Quelle que soit la variété de nos activités et de nos responsabilités, quelle que soit la diversité de nos analyses sociales, de nos options politiques, une même certitude nous habite : impossible de croire en Dieu en fermant les yeux sur le sort de ses frères. Cette conviction nous rassemble par-delà toutes nos différences. Elle s’est manifestée à nouveau avec évidence et force au cours de ce Congrès. Elle oriente l’avenir de notre Mouvement. Cet avenir, nous devons le construire ensemble et mon intention n’est pas de tirer ce soir de trop hâtives conclusions. Je voudrais simplement, au sujet de la vie interne du MCC, proposer quatre réflexions que nous aurons à approfondir dans les mois à venir.

 Réflexions pour demain

1. Appartenir à un mouvement

La première de ces réflexions porte sur notre appartenance à un mouvement et à un mouvement qui réunit des chrétiens. En rassemblant plus de 2000 participants, ce Congrès a pu nous aider à prendre davantage conscience des liens qui unissent chacune de nos équipes au MCC tout entier. Il s’agit, bien entendu, d’un événement exceptionnel qui ne se reproduit pas fréquemment à la même échelle. Mais si, pendant deux jours, la rencontre du Bourget a permis de renforcer notre cohésion et notre solidarité, si elle a pu réactiver notre dynamisme, n’y a-t-il pas lieu de trouver des moyens plus ordinaires, qui favoriseront ce renouveau? La vie en équipe garde évidemment toute son importance. Il n’est pas question de la minimiser. Mais, pour stimuler et nourrir cette vie, nos équipes ont besoin de sortir de l’horizon restreint où elles risquent de s’enfermer faute d’incitation à élargir le cercle de leurs rencontres habituelles.

Ce n’est pas le moment de formuler, à ce sujet, des propositions précises. Elles devront de toute façon s’adapter aux diverses situations locales. Mais on peut dire tout de même que la vitalité du MCC et l’aide apportée à ses membres dépendront des initiatives prises pour que nos équipes expérimentent plus concrètement qu’elles appartiennent à un mouvement.

Ce Mouvement, je viens de le dire, réunit des chrétiens. Or nous savons bien que, dans le monde présent ; il n’est pas si facile de réapprendre à croire. Sans se transformer en groupes de prière ou en école de formation théologique, le MCC manquerait à son rôle s’il n’aidait pas ses membres à se soutenir mutuellement dans la foi. Pour cette raison, il est important pour l’avenir que le Mouvement continue de proposer, comme il le fait déjà, des temps de reprises spirituelles qui aideront chacun de nous à devenir un peu plus chrétien là où nous agissons.

2. Faire fructifier un capital d’expériences et d’informations

Le second point que je voudrais soumettre à notre commune attention, concerne le travail de réflexion du Mouvement.

Par leurs fonctions et leurs responsabilités, les membres du MCC possèdent en commun un vaste et riche capital d’informations et d’expériences concrètes dans les différents domaines de la vie industrielle, économique et sociale. Ce Congrès vient encore de le prouver. Avouons toutefois que ce patrimoine reste trop fréquemment inexploité.

Sans doute n’est-il pas toujours aisé pour des cadres d’élaborer une réflexion approfondie sur leur propre pratique. Le temps manque souvent et parfois le goût. Mais il serait tout de même anormal, après un Congrès comme celui-ci, que toutes les questions posées, toutes les expériences rapportées et qui concernent nos responsabilités professionnelles et leur environnement socio-économique, n’incitent à aucune recherche.

L’heure est venue — me semble-t-il — de donner naissance à des groupes de travail spécialisés (appelons-les commissions, ou de tout autre nom) dont les analyses et les propositions devraient

— stimuler la réflexion du Mouvement,

— enrichir celle de l’Église,

— et plus généralement contribuer à la recherche de toute solution capable de construire pour demain une économie qui humanise la vie des hommes.

3. Répondre à de nouveaux besoins pour de nouveaux services

Le troisième point auquel je voudrais également faire allusion se rapporte aux services dont le Mouvement peut prendre l’initiative pour répondre à de nouveaux besoins. Au cours de ces dernières années, le MCC a créé des groupes « recherche d’emploi, des « conseils d’aide aux petites entreprises ». Il a organisé des cycles de conférences, des colloques, des soirées de réflexion sur des sujets d’ordre économique et social. Il a aussi monté dans 60 villes de France les Journées Emploi du 16 octobre 1983. Ces différentes opérations, dont les modules du Congrès ont en partie rendu compte, ne concernaient pas les seuls membres du Mouvement. Elles se présentaient comme un service offert à un public plus large que celui du MCC. Leur succès a montré qu’elles répondaient à un besoin du temps présent. Sans doute ne faut-il pas en conclure que le MCC doit désormais investir l’essentiel de ses forces dans des activités tournées vers l’extérieur. Mais on doit se demander si, pour le Mouvement, le moment n’est pas venu de prêter davantage attention aux services qu’il pourrait rendre non seulement à ses propres membres mais aussi à d’autres, dans les différents domaines où il a quelque expérience et compétence.

4. Accueillir les plus jeunes dans un mouvement ouvert à toutes les générations

Reste enfin un quatrième et dernier point par lequel je terminerai. Il concerne l’accueil des plus jeunes dans un mouvement où tous les âges d’ailleurs ont vraiment leur place.

Les jeunes générations sont présentes aujourd’hui dans le MCC et également dans ce Congrès. Mais une question se pose cependant : comment rendit le Mouvement plus attractif encore pour ceux et celles qui entrent dans la vie professionnelle à la sortie des Grandes Écoles, de l’Université ou d’autres lieux de formation? Comment accueillir les ne rejoignent pas nécessairement celles des générations plus anciennes ? Ces interrogations, le MCC ne peut les éluder si ses membres ont la conviction qu’un Mouvement comme le nôtre a encore un avenir devant lui.

Il ne s’agit pas de recruter pour le plaisir du recrutement, mais tout corps social – le nôtre en particulier – ne peut garder vigueur et dynamisme si les plus jeunes n’y trouvent pas leur place. Nous aurons certainement à nous interroger sur les moyens à prendre pour accueillir ceux qui aujourd’hui débutent dans la vie active et s’initient à leurs premières responsabilités professionnelles.

Toutefois, en insistant sur l’accueil des plus jeunes générations, je ne voudrais pas laisser supposer que le MCC doit minimiser la place tenue pas ses autres membres et notamment les plus anciens. Je pense en particulier aux cadres en préretraite et en retraite. Chacun sait les services éminents qu’ils peuvent rendre dans la société en général mais également dans notre Mouvement. Pour le dire ici entre parenthèses, bien des activités du MCC au niveau national ou régional, n’auraient pu être assurées sans le concours assidu et dévoué de tous les préretraités et retraités qui offrent généreusement leur compétence et leur temps. Dans ce monde où la loi de « donnant-donnant » devient souvent la règle de toutes les conduites, ce témoignage de gratuité a pour nous valeur de signe. II mérite notre reconnaissance.

Merci à tous. Merci à Dieu

En conclusion de cette intervention, je voudrais plus largement exprimer cette même reconnaissance à tous ceux et toutes celles qui ont contribué à la réussite de ce Congrès. Je pense à tous les architectes et artisans des modules, à tous les directeurs et intervenants des carrefours, au x animateurs de la veillée de Notre-Dame, aux participants des tables rondes d’hier soir et de cet après-midi, sans oublier le Père Marion qui nous a fait joyeusement chanter. Je pense aussi aux différents secteurs de Paris et de l’Ile-de-France qui ont contribué à l’organisation matérielle et technique de cette rencontre.

Enfin je voudrais citer l’équipe bien connue du secrétariat de la rue de Varenne, l’équipe d’organisation du Congrès avec à sa tête Etienne Vignon qui, depuis des mois, a été l’ordonnateur efficace du grand rassemblement. Tous méritent notre remerciement chaleureux et nos applaudissements.

Nous allons maintenant prier ensemble une dernière fois au cours de la célébration que va présider le Père Bescond.

Que le Seigneur mette en nos cœurs l’espérance qui fera de nous des inventeurs d’avenir ! Qu’Il nous donne le courage d’entreprendre pour que la justice enseignée par le Christ brille un peu plus en tous les lieux où vont nos routes.

Dominique Bourgouin

Extrait de Responsables n° 165 – mars 1985


Un chemin dans la mer – page 175

En faisant mémoire de notre passé récent et en nous invitant à oser reconnaître que Dieu a, pour le Mouvement, ouvert un chemin dans la mer, le Père Orgebin a introduit l’Équipe nationale dans la prière du Dimanche matin. Dans le même temps, il soulignait qu’il s’agissait pour chacun d’entre nous de s’ouvrir à l’avenir, cet avenir plus grand que nos rêves, comme le dit l’éditorial de Mai (Responsables n° 216).

Pour cette marche en avant, comment découvrir la coïncidence entre notre désir et le désir de Dieu sinon en passant, comme on tenta de le faire à Epernon, de la prière au dialogue, c’est-à-dire : de la prière qui délivre à des échanges libres où convergences, oppositions et différences permettent de progresser dans un discernement collégial ?

C’est cette avancée confiante, cette unité de recherche et d’attente, d’inspiration et de sens entre la prière et les débats que beaucoup sans doute auront retenu de ces journées et seront en mesure de rendre sensibles autour d’eux.
C’est d’ailleurs à partir des échanges en Assemblée générale, récapitulant les préoccupations de l’Equipe (où les mots de discernement, formation, communication, spiritualité apparurent fréquemment) et les éclairant par le texte de l’Évangile du jour que le Père Rouet prononça l’homélie au cours de l’Eucharistie du Dimanche soir : plus se creusera en nous le désir de Dieu, le goût de Dieu et mieux nous commencerons à discerner dans ce monde où Dieu nous attend.

Pour introduire le temps que nous allons consacrer à la prière, je vous propose de réfléchir à deux paroles de l’Écriture. La première revient comme un leitmotiv dans l’Ancien Testament : “Ô mon peuple, dit Dieu, souviens-toi». La seconde empruntée à st Paul, invite à faire la lumière pour éclairer la route à suivre : «Frères, discernez ce qui plaît au Seigneur. Soyez remplis de son Esprit».

Souviens-toi

A travers toute l’Écriture, Dieu invite son peuple à sortir de l’amnésie, c’est-à-dire à se souvenir des merveilles qu’il a accomplies à son égard. La liste des hauts faits qui nourrissent la prière biblique est longue et multiforme mais, dans ce souvenir émerveillé et reconnaissant, émerge un évènement central qui marquera à jamais la conscience religieuse de nos pères dans la foi. Cet évènement, nous le savons, c’est dans l’Ancien Testament, la traversée de la Mer Rouge. Alors qu’Israël subissait l’assaut des forces contraires plus nombreuses et plus puissantes que lui, Dieu a ouvert un chemin dans la mer ; il a fait passer là où n’apparaissait aucun passage. Il a accompli l’impossible. La leçon de cet évènement ne vaut pas uniquement pour ceux qui en furent témoins. Elle offre une clef de lecture à tous ceux qui, dans la foi, veulent faire mémoire de leur histoire.

Mémoire du Congrès

Osons reconnaître qu’au cours de ces cinq dernières années, Dieu a pour le Mouvement, ouvert un chemin dans la mer et ceci de bien des manières. Disant cela devant vous, me reviennent en mémoire, deux évènements successifs de notre passé récent.

Il y a environ un an quelques membres du Bureau national de l’époque s’étaient rendus en Alsace pour rencontrer nos amis de Strasbourg et continuer avec eux la préparation du Congrès. A cette occasion nous avions une fois de plus parcouru les lieux où devait se tenir notre rassemblement national. Les halls, les salles, l’auditorium, tout était immensément vide. Alors devant ces espaces nus et sans vie, nous nous étions demandés avec quelque hantise : sera-t-il possible en décembre prochain – à l’époque on ignorait encore que M. Mitterrand nous obligerait à changer de date – oui, sera-t-il possible de tenir notre pari, c’est-à-dire de remplir ces lieux prévus pour une foule, ou courons-nous le risque d’être seulement un petit troupeau perdu dans un palais qui resterait en grande partie désert.

Mais plus s’imposait cette question, plus se fortifiait le sentiment que finalement, après tant d’efforts déployés, la réponse ne nous appartenait plus. Elle appartenait à Celui au nom duquel nous voulions nous réunir en congrès. Six mois plus tard, la réponse est venue. D’une certaine façon, elle dépassait nos espérances. Je me souviens qu’à ce moment-là, contemplant depuis le hall d’entrée ces hommes et ces femmes du Mouvement qui arrivaient de tous les coins de France et qui remplissaient non seulement la grande salle de l’auditorium mais aussi la salle voisine, m’est revenue en mémoire cette parole de l’Écriture : “Dieu a ouvert pour nous un chemin dans la mer. A travers nos pauvres efforts humains, il venait accomplir son œuvre. C’est Lui qui nous réunissait faisant de notre assemblée ce que l’Ancien Testament nomme une “convocation sainte” et le Nouveau une “ecclesia”, c’est-à-dire au sens étymologique du terme “une communauté d’appelés” invités par le Christ à s’associer à sa mission dans ce monde.

Une fois de plus le Seigneur nous rassemblait, non pas seulement, pour célébrer ensemble la joie des retrouvailles mais pour nous envoyer “travailler dans sa vigne” comme dit l’Évangile. Le Congrès que nous venons de vivre ensemble n’a pas été une fin en soi. Il a été et il reste le point de départ d’une nouvelle aventure, d’un nouveau chemin sur lequel le Mouvement va maintenant avancer avec l’assurance renouvelée que le Seigneur accompagnera nos pas, Lui qui a “ouvert pour nous un chemin dans la mer”.

Strasbourg en a donné la preuve, mais il en est aussi une autre à laquelle je voudrais m’arrêter parce que votre présence en ces lieux ce matin en porte témoignage.

Mémoire d’un appel

Vous le savez aussi bien que moi, il n’est jamais facile de trouver des gens qui acceptent de prendre dans l’animation du Mouvement une part de responsabilité. Consentir à ce service demande de changer l’ordre des priorités dans un temps libre qui n’est pas indéfiniment extensible. Cela demande également d’ajouter aux préoccupations professionnelles et familiales des soucis supplémentaires car la vie d’une région, d’une fédération, d’un Mouvement – tout en étant source d’enrichissement – comporte aussi des pesanteurs qu’il faut savoir gérer. En dépit de toutes ces contraintes, des hommes et des femmes acceptent, malgré tout, aujourd’hui encore, de donner de leur temps et de leur énergie pour que le MCC vive et se développe.

Cet accueil, cette disponibilité – votre présence ici en donne la preuve – montrent que le Christ, de cette façon aussi, continue d’ouvrir pour le MCC un chemin dans la mer. A travers bien des médiations humaines, c’est Lui qui finalement suscite les responsables dont le Mouvement a besoin. C’est Lui qui les appelle à ce service réactualisant pour chacun la parole entendue par les premiers disciples : “Viens et suis-moi. Dire cela, est-ce aller trop loin et donner trop vite une dimension transcendante à une expérience qui ne serait pas de cet ordre ? Quelqu’un me disait un jour : “On n’entre quand même pas au MCC comme on entre en religion ». C’est vrai. Et pourtant, y adhérer vraiment, y prendre des responsabilités à l’un ou l’autre niveau, cela ne relève pas d’un choix purement humain mais d’une décision spirituelle.
Certes, un mouvement n’est jamais un absolu qui mériterait qu’on lui sacrifie tout. Dieu seul est absolu et les moyens pour le rejoindre sont multiples et variés. Il ne s’agit donc pas de survaloriser le MCC comme si rien n’existait en dehors de lui pour accomplir notre vocation chrétienne. Mais s’engager dans ce Mouvement, contribuer à son animation, c’est avoir la conviction que, parmi toutes les voies possibles pour coopérer à la mission de l’Eglise dans le monde, le Christ propose cette voie-là.
Pour le dire ici entre parenthèse, solliciter de nouveaux responsables ne consiste pas à leur demander de mettre leur savoir-faire à la disposition d’un appareil, d’une institution dont il faudrait gérer le fonctionnement et assurer la survie. Il s’agit bien davantage d’aider des hommes et des femmes à se situer devant Dieu pour discerner si l’appel entendu vient du Seigneur lui-même. Et s’il en est ainsi, Il trouvera bien le moyen d’ouvrir pour ceux qui hésitent ou qui doutent, “un chemin dans la mer”, cette mer que le peuple d’Israël a traversée à pieds secs comme dit l’Ecriture.
Dans notre prière de ce matin, nous pourrons méditer sur cette parole biblique en faisant mémoire de tous ces moments de notre histoire personnelle, mais aussi de tous les moments de l’histoire récente de ce Mouvement où Dieu, d’une certaine façon, nous a aidés à traverser la Mer Rouge.

Soyez remplis de l’Esprit

La seconde parole de l’Écriture à laquelle je voudrais m’arrêter est extraite d’un passage de la Lettre de Saint Paul aux Ephésiens.”Discernez, dit l’apôtre, ce qui plaît au Seigneur. Soyez remplis de son Esprit.

Un discernement collégial

Dans les heures qui viennent nous aurons précisément à faire collégialement œuvre de discernement. Il s’agit de découvrir ensemble ce que nous voulons pour ce Mouvement et ce que Dieu veut avec nous. J’insiste sur cette nécessaire conjonction car, trop souvent, l’expression “faire la volonté de Dieu”, très biblique pourtant, peut prêter à de fausses interprétations, Elle risque de laisser supposer que Dieu s’impose à nous comme une force étrangère qu’il faudrait subir.

Or, faire la volonté de Dieu dans une sorte d’obéissance servile, ce n’est pas chrétien ; ce n’est pas conforme au message de Jésus. Il ne suffit donc pas de faire la volonté, il faut aussi la vouloir ce qui n’est pas tout à fait la même chose. Mais pour parvenir à cette coïncidence entre notre propre désir et le désir de Dieu, entre notre propre vouloir et le vouloir de Dieu, il faut, dit Sain t Paul, se laisser remplir de l’Esprit.
La stratégie politicienne, quand elle veut concilier les options diverses des personnes et des groupes, s’emploie souvent à établir ce qu’on appelle “des plateformes communes” où toutes les tendances retrouvent une part de leur propre bien sans se modifier elles-mêmes en rien.

La constitution de ce genre de plateformes obtenues au prix de subtiles pressions manœuvrières fait partie du jeu auquel certains aiment s’adonner avec délices ! Ce n’est évidemment pas à ce jeu raffiné que notre Equipe Nationale est venue se livrer. Personne n’arrive ici pour défendre à tout prix sa théorie, sa visée, ses options, mais simplement pour faire entendre ce que l’Esprit lu i suggère, acceptant d’accueillir à travers la parole des autres ce surcroît de lumière qui lui fait encore défaut.
Mais cette disponibilité à se laisser transformer, en vue de contribuer à une œuvre vraiment commune, demande qu’on se laisse déposséder de tout ce qui subtilement peut faire obstacle à l’accueil de l’Esprit.

De la prière au dialogue

Pour nous laisser “remplir par l’Esprit” selon le mot de Saint Paul, la prière est nécessaire ainsi que le dialogue.

La prière est la voie ouverte pour entrer davantage dans la familiarité de Jésus et de son Père. Méditer la parole de Dieu, la reprendre, la ruminer, c’est se laisser imprégner par l’Esprit de celui qui parle et nous parle. On prie avec l’Ecriture comme on fréquente une œuvre d’art ; plus est lu un poème, plus est contemplé un tableau, plus est écoutée une symphonie, plus s’opère une sorte d’osmose avec l’esprit du poète, du peintre, du musicien. Dans la prière, il en va d’une certaine façon de même. Plus nous nous laissons habiter par les mots de l’Écriture, plus l’Esprit de celui qui parle nous habite et nous dispose à accueillir sa lumière. D’où l’importance de ces temps que nous consacrerons e n ces trois jours à la prière et à la célébration.
Ceci dit, l’accueil de l’Esprit ne s’opère pas seulement dans la prière, il se réalise aussi dans le dialogué. La rencontre des autres, la parole échangée avec eux desserrent l’étau de nos préjugés, de nos certitudes, de nos perceptions trop étroites ou trop unilatérales. Elles ouvrent une brèche libératrice dans nos citadelles intérieures. Par cette faille ouverte, l’Esprit du Christ peut envahir la place et apporter sa lumière. Personne ici ne détient à lui seul là clef de l’avenir du MCC. Mais il est sûr cependant que l’Esprit Saint veut en dire quelque chose par la voix de tous les membres de notre groupe ici rassemblés.

Seul un parti pris de confiance mutuelle, seule la disponibilité d’une intelligence et d’un cœur prêts à accueillir la parole de l’autre pourront nous aider à découvrir ensemble ce que nous voulons pour ce Mouvement et ce que Dieu veut avec nous.
Cette ouverture et cette disponibilité, nous allons maintenant les demander dans la prière. Que le Père, par le Fils, nous envoie son Esprit. Que cet Esprit se joigne au nôtre selon le mot de Saint Paul (Rm 8,14). Afin que s’identifient notre désir, notre vouloir avec le désir et le vouloir de Dieu au moment où nous allons délibérer ensemble de la mission du Mouvement dans la mission de l’Église.

Jacques Orgebin sj

Extrait de Responsables n° 218 – juillet/août 1990


De Strasbourg à Nantes – page 177

Le temps passe vite : non seulement parce que le congrès de Strasbourg paraît dater d’hier. Davantage, parce que la situation a rapidement changée en cinq petites années. Fidèle à sa tradition, le MCC continue à proposer des thèmes de congrès qui correspondent au plus près à la situation. Nous sommes donc passés – et je résume à dessein le thème du congrès de Strasbourg – de “Performance et solidarité”, à celui-ci :”A quel prix espérer vivre et travailler autrement”. Le titre du congrès de Nantes n’est pas uniquement plus long, il est aussi plus complexe. Comment sommes-nous arrivés à nous poser une question aussi vaste ?

L’enjeu du Congrès de Strasbourg

Si j’ai volontairement résumé le thème du congrès de Strasbourg, c’est afin de mieux faire ressortir la problématique qui le soutenait. La performance s’affichait pendant les trois années qui encadrent le dernier congrès, à la fois comme un fait, une nécessité et une solution.

Performants et solidaires

La performance était un fait évident : après des années de turbulences et d’inquiétude, une certaine reprise se manifestait. La chute du mur de Berlin offrait des débouchés nouveaux et la fin d’un antagonisme coûteux. En devenant plus assurée, la paix libérait des ressources pour des investissements civils. Le chômage, qui avait fait un bond depuis 1984, ralentissait son expansion. La productivité, méritée par des efforts importants de modernisation des entreprises et de compétence des services, connaissait une avancée manifeste. On se prenait à respirer…

La respiration, d’ailleurs, était celle du sportif qui reprend souffle pour un nouvel effort. Car, la performance apparaissait aussi comme une nécessité. En s’ouvrant, l’Europe de l’Est générait certes de nouveaux marchés, mais dans un tel état qu’il faudrait beaucoup de travail, d’énergie et d’argent pour admettre ces pays au rang de partenaires à peu près égaux. La performance de l’Ouest devait donc soutenir la restructuration de l’Est. Sans oublier deux grands débats qui traversèrent le congrès de Strasbourg : celui d’éviter que l’attention portée à l’Europe Centrale et de l’Est n’altère les efforts consentis pour d’autres pays en voie de développement, principalement en Afrique, continent auquel notre pays est depuis longtemps attaché. Le second débat concernait très exactement les efforts indispensables à la construction de l’Europe sociale. L’Europe apparaissait nimbée de sa neuve constitution et déjà suspecte des échafauder sur les droits sociaux réduits au plus petit dénominateur commun. Des promesses furent envisagées pour n’oublier aucun de nos amis ni récents ni anciens, que l’Europe sociale était possible, à la condition d’accroître notre performance. Loin de souffler, il restait urgent et nécessaire d’intensifier l’effort.

Car la solution du chômage, d’une Europe sociale, d’une aide à l’autre Europe et aux pays nécessiteux, passait obligatoirement par le progrès des performances. Vous voulez être solidaires ? Soyez performants. Sinon, vous n’aurez rien à partager. La lutte économique a besoin de gagnants pour gagner en solidarité.
Mais une autre tendance, sans renier l’importance de la croissance, posait d’autres questions. Mettant la solidarité en avant, elle s’interrogeait sur la destination de la performance, sur son partage et même sur son efficacité humaine.

Solidaires donc performants

De soi, la performance n’a pas d’autre orientation qu’elle-même. Elle est tournée vers sa propre logique elle produit plus vite, davantage et mieux. La réduction des coûts de production, la rapidité des distributions, l’efficacité d’un réseau commercial, sont des activités suffisamment prenantes pour ne point chercher à s’occuper de l’homme, déjà préoccupées de rendements optimaux, y compris financiers. Attendre qu’ensuite la performance se tourne vers les hommes, serait à la limite, aussi illusoire que d’attendre autre chose de la loi de la chute des corps que de les voir tomber. Il importe donc d’apporter, dès le départ, une destination obligatoire à la performance, de la sortir de son aveuglement, donc de lui assigner comme finalité la dignité de l’homme.

Le partage de la performance n’est pas davantage inné. La croissance produit des biens, des revenus. Mais à qui vont-ils ? Qui en profite ? Rapidement dit, à ceux qui en maîtrisent la production, et, de manière moins importante, à ceux qui participent à cette production. Et les autres ? La performance entraînée par son élan risque d’arriver à une contradiction logique : que la consommation ne suive pas, faute de moyens, la production. La croissance, ne s’enferme-t-elle pas dans une expansion de plus en plus forcenée et dans une extension de plus en plus étroite ? Le partage de la croissance n’est donc pas d’abord une bonne action, mais une sage politique : c’est la solidarité qui relance la performance.

Contrairement, en effet, à ce que disait la première tendance, la performance qui produit les moyens de la solidarité peut tout aussi bien étouffer cette solidarité. Ce mouvement peut même devenir pernicieux pour elle. Il faut sauver la performance de l’illusion de ses charmes ou de ses pouvoirs. Loin de céder à ses fascinations, il importe de maîtriser la performance au lieu qu’elle s’emballe, de lui apprendre le sens traditionnel de la destination universelle des biens au lieu de la laisser gérer sa croissance et ses profits selon ce qu’elle estimerait, seule, utile à ses intérêts; il im-porte .donc de l’humaniser dès le départ. Vous voulez être réellement performants ? Commencez par être solidaires. Alors tout prendra sens.

Ainsi le congrès passa-t-il des “performants et solidaires” à “solidaires donc performants”. Au centre de ce débat, se tenait la place de l’homme ou conséquence de la productivité ou source de croissance.

La question était d’autant plus aiguë qu’elle se jouait à deux termes est-ce que placer l’un ou l’autre en tête n’était qu’un problème d’accentuation, de dosage, voire de politique, puisque nul ne contestait la nécessité de la performance ni l’urgence de la solidarité ? L’équilibre entrevu était-il à l’image de cette époque mieux assise que la nôtre ?

Ce serait, je pense, une grave méprise de ne voir dans le congrès de Strasbourg que la complicité de croyants généreux avec les impératifs du progrès économique, accommodée de sentiments tiers-mondistes. Car, entre performance et solidarité, la place exacte de l’homme, telle que Dieu la veut, était au coeur des débats. Et cette question, autrement perçue, est à l’origine du thème d’aujourd’hui. Un équilibre négocié eût cherché d’autres restructurations, provoqué de nouveaux aménagements. Mais, si c’est bien l’homme dont il était question, alors aujourd’hui la question est plus évidente et plus urgente. Mais c’est la même.

Les attentes du Congrès de Nantes

Le sujet du Congrès de Strasbourg était au plan logique, relativement simple. Il s’agissait d’articuler deux exigences en fonction d’une conception de l’homme. Le titre du Congrès de Nantes laisse percevoir au moins trois axes majeurs.

—  Le prix de l’espérance

Strasbourg s’interrogeait sur une priorité. En optant pour l’urgence de la solidarité, le congrès posait une espérance en orientant l’action et la recherche. S’il ne va pas de soi de donner à la performance un axe, une mission au service de l’homme, si cette affirmation n’est pas unanimement respectée, si donc doivent être entrepris des efforts tenaces et patients en ce sens, il reste cependant qu’une espérance est ainsi posée avec ce qu’elle comporte de luttes et de désir, de décisions concrètes et de choix éthiques.

Or, cette espérance dévoile aujourd’hui qu’elle est coûteuse, qu’elle a un prix et même que ce prix doit être évalué. Dire en effet “à quel prix espérer” laisse entendre que ce prix peut paraître élevé. De toute façon l’espérance n’est pas gratuite. Elle ne présente pas une marche allègre dans la clarté d’une aurore. Il va falloir la payer. L’espérance est une dette. Comme les pays des tiers-mondes, nous sommes endettés, mais d’espérance. Comme eux, ne peut-on pas envisager une remise de cette dette, voire une-spéculation sur son montant en proposant de la transformer en actions plus immédiates et plus pragmatiques ? Mais, cette dette d’espérance est entre les mains de Dieu : que signifie alors cette parole du Notre Père :”Remets-nous nos dettes comme nous-mêmes avons remis à nos débiteurs ?”(Mt 6,12),

— Vie et travail en question

Strasbourg déjà abordait le travail par le biais de la performance et la vie par celui de la solidarité. Mais, la performance suppose une approche du travail auréolé de succès, de croissance, de productivité. La solidarité était entraînée dans l’élan de cette grande oeuvre.

En quelque sorte aujourd’hui, l’auréole est tombée. Le roi est nu : de la performance, nous sommes passés à travailler, action plus dépouillée qui amène à penser à une autre composante du travail : sa peine, sa rareté. Nous retrouvons ainsi le sens étymologique du mot qui connote une certaine souffrance. Pourquoi ? Serions-nous devenus défaitistes ou plus réalistes ?

De même vivre est un mot plus cru que la solidarité ! Il ramène à des réalités fondamentales. Dire “vivre et travailler” sonne autrement que “performance et solidarité” : l’attention se porte vers le fondement, l’essentiel. La vie est en question, à la fois dans sa relation au travail et distincte de lui. Serait-ce que le travail manque à la vie et, réciproquement, que la vie manque de travail ou qu’elle le déborde ?

Que nous pensions aujourd’hui au chômage – nous y reviendrons – va de soi. Il y a cependant plus : comment entendre dans ce contexte, la phrase de Saint Luc :”La vie .d’un homme n’est pas assurée par ses biens ?”(Luc 12,15).

Une autre approche de l’homme

Cette analyse devient certitude par le dernier mot :”autrement”. Que qualifie-t-il exactement ? Le seul travail ? La relation de la vie et au travail ? Ou, plus largement, l’espérance elle-même ? S’agit-il au fond – et l’alternative est d’importance – de remodeler le rapport du travail et de la vie ou de mieux analyser l’espérance et de réorienter sa marche ? Ce débat est rigoureusement parallèle à celui de Strasbourg s’il n’est question que de mieux articuler la vie et le travail, alors le précédent congrès .n’a cherché qu’un équilibre entre la performance et la solidarité. Mais, s’il s’agit d’une neuve espérance, alors la question radicale de Strasbourg rebondit. En effet, compte-tenu des évolutions de ces dernières années, l’approche de l’homme requiert une autre estimation, une autre démarche. Que s’est-il donc passé pour que nous en soyons arrivés à une telle situation qui, avouons-le, interroge l’espérance elle-même ?

De l’un à l’autre Congrès : les défis du présent

De multiples constats et analyses tentent d’expliquer l’évolution de ces dernières années. Il est certain, d’ailleurs, que nous assistons davantage à l’émergence ou à la prééminence de mouvements déjà anciens mais discrets, qu’à des apparitions soudaines de phénomènes imprévus. Plusieurs des intuitions du congrès de Strasbourg avaient donc vu juste, surtout celles qui signalaient avec crainte le déclin de l’intérêt pour l’homme, ou avec espérance la nécessité de trouver d’autres rythmes de vie.

Plutôt que de me lancer ici dans une autre analyse, je m’essaierais à des rapprochements de faits constatables, non point pour proposer une nouvelle lecture de la situation présente, mais pour faire apparaître des lignes de clivage. L’hypothèse avancée est la suivante : les interstices qui dessinent des lignes de fracture constituent également des lieux de possibles nouveautés. L’histoire avance par ses marges.

Ainsi les titres des assemblées partielles sont-ils susceptibles de regroupements, par exemple en deux grandes catégories:

— Une première série parle de chômeurs de cadres en recherche d’emploi, d’exclus, d’exclusion, de détresses locales e du respect de l’homme, mettant en face l’accompagnement, l’économique, la gestion des ressources humaines, la compétitivité et le développement (assemblées partielles n°1,2,3,4,9,10).

— Une seconde série s’attache au travail, aux revenus, au travail rémunéré avec la place de la femme et les enjeux de l’entreprise (Assemblées partielles n° 5,6,7,8,11,13).

Si nous tenons ce classement, un peu subjectif, pour représentatif de la mentalité de responsables compétents et chrétiens, nous remarquons aussitôt où situer ces fractures dans la société. J’en ai repéré cinq qui correspondent à des défis qui nous sont actuellement lancés et qui se tiennent l’un l’autre.

La question de l’exclusion

Le problème de l’exclusion est distinct de celui des minorités. Une minorité différente n’est pas nécessairement exclue. Qu’est-ce que l’exclusion ? Disons simplement qu’elle provient de ne plus participer à la construction d’une société. L’exclu est celui qui pourrait ne pas être sans que la société voit son fonctionnement en être affecté. Or, il faut ici avancer deux remarques.

Premièrement, tout corps social ayant des limites sans lesquelles il n’existerait pas et un agencement précis qui lui permet de se développer, toute société fabrique inévitablement de l’exclusion. Un groupe humain qui nie cette exclusion s’avance vers le totalitarisme. Se retrouvent ici ceux qu’on appellent souvent des marginaux, pour quelque raison que ce soit.

Secondement, à ce fait social, s’ajoute une autre donnée : que notre société génère des exclus qui ne voudraient pas l’être. L’exclusion, ici, ne provient plus d’un type. de fonctionnement que refusent des personnes, mais d’une imposition supplémentaire qui leur est infligée au nom du rendement, de la productivité, de tâches obsolètes; du pénible constat qu’on ne sait plus que leur faire faire.

Il convient alors de se demander si la logique de l’insertion reste la bonne réponse : comment insérer dans une société qui rejette ? Bien entendu, toute réussite de micro-insertion sera la bienvenue. Mais, au niveau de la macro-insertion, ne faudrait-il pas se poser une autre question : au lieu de se considérer comme un corps établi avec ses frontières, est-ce que notre société est capable de créer un dialogue, une communion, une reconnaissance avec ceux qui, à côté d’elle, ne sont plus dans les circuits habituels de son fonctionnement ? Loin de la penser comme une île, peut-on penser la société comme un archipel, comme un ensemble différencié de sociétés diverses en relation de symbiose ?

L’exclusion deviendrait alors le lieu d’émergence d’une nouvelle manière de vivre ensemble. Une manière de parler de l’insertion renforce la conviction que rien de fondamental n’est à changer dans la société.

La croissance et le chômage

On a pensé pendant longtemps que la croissance entraînait avec elle l’emploi. Certains le pense encore. Il n’est plus évident que cette mathématique soit juste dans notre univers. Le poids de la concurrence, les prouesses de la productivité, la financiarisation d’une part importante des entreprises, obligent à constater aujourd’hui qu’une croissance, quand elle se produit, ne modifie que superficiellement les taux de chômage.

Dans cet interstice qui sépare la croissance et l’emploi, se glissent la notion de partage du travail et des revenus, mais tout autant celle de l’évolution d’une société. Sans entrer dans les différentes approches techniques et reconnaissant qu’il y a là une piste à ne pas négliger, le partage du travail et des revenus doit être estimé en fonction de l’évolution économique : le total à partager n’est pas fixe. Mais, cette perspective ne saurait cacher une autre évolution qu’on peut qualifier de sociétale.
Chacun sait que les victimes de l’exclusion, en premier les chômeurs de longue durée, connaissent une dépression. La chape de la peur, celle de perdre son emploi, produit une implosion, le contraire d’une explosion sociale. Une telle dévitalisation est plus signe de mort que de paix. Elle n’est pas, de soi, signé de santé. La crise du militantisme en apporte confirmation.

Il faut alors se demander comment le partage peut servir une vitalité sociale au lieu d’aplatir vers une moyenne sécurisante toute innovation. Le partage peut étouffer l’utopie. Comment relancer aujourd’hui des utopies mobilisatrices sans lesquelles il n’y a pas d’espérance possible ?

Travail, chômage, fécondité sociale

Le chômage est indemnisé. Ce n’est que justice, une justice distributive. La collectivité prévoit ainsi un programme spécifique d’assistance. Le travail des uns apaise la peine du chômage des autres. Et heureusement, dans un premier temps.
Posons-nous la question complémentaire : que peut apporter au travail des premiers le chômage des seconds ? Autrement dit : que peuvent-ils donner ? Quelle fécondité sociale leur reconnaît-on ? Est-ce qu’un homme, du fait d’être homme est un être productif ? Producteur d’humanité.

Quel prix vaut l’humanité ? Pour retrouver cette espérance, il nous faudrait revenir à la notion de “dette” chère à Saint Matthieu. Nous sommes en dette les uns envers les autres, en dette de l’humanité que chacun reçoit pour la donner. Une société qui exclut n’a pas de dette. Elle est auto-suffisante.

D’où l’extrême importance de trouver des plages de fécondité sociale : c’est une question d’équité, donc de reconnaissance de l’humanité de chacun. Une question d’espérance.

L’argent rapide

L’argent-roi, aujourd’hui, est champion de vitesse entre les places financières et les paradis fiscaux où il se blanchit, se redore un blason et s’élance. La délocalisation des emplois est de moindre importance que la multi-localisation de l’argent. Ses circuits recouvrent la terre, même pour tirer profit de la dette des tiers-mondes.
Problème complexe, inévitable en grande partie, mais qui pose une grave question. Strasbourg parlait beaucoup de l’Europe. Les assemblées partielles de cette année sont discrètes sur l’international. On peut le comprendre. Mais, comment hausser notre espérance au niveau où ces problèmes se posent ? Pour le dire crûment : en quoi la catholicité nourrit-elle notre espérance ?

La société et le sens

Hommes et femmes dans la société, le développement, redonner un sens à la ville : certes, mais suivant quels modèles ? Quel “autrement” soulève notre espérance ? Nous entrons sans doute dans les obscurités et les tâtonnements. Cette ignorance n’est pas sans valeur, puisqu’elle laissé ouverts tous les possibles. Ceux qui savent, continuent sur leur lancée avec.de légers accommodements. Les créateurs ne savent que porter le poids de leurs questions, de leurs tentatives. Leurs énergies et leur patience les rend modestes. Leurs doutes les mettent à l’écoute d’autres voies, les lancent sur des pistes inconnues. Sans que, d’ailleurs, ils le sachent toujours nettement. Au moins savent-ils recevoir, percevoir, tout simplement voir… Tel est l’enjeu de cet “autrement” du titre.
A condition de se rappeler que parler d’un autrement suppose une espérance fondatrice en un “pas encore là” qui, inconnu comme un enfant, demande à naître.

Mgr Albert Rouet

Extraits de Responsables n° 263 – février 1995


Donnons une autre perspective à la marche du monde – p.179

Lors du lancement du congrès après les remerciements adressés aux nombreux acteurs qui en ont permis la tenue, Christian Sauret, alors responsable national du MCC, a rappelé l’importance d’un tel événement dans la vie du MCC. Il a ensuite introduit la thématique générale de nos deux jours de rencontre et de débat.

Nous sommes tous là ! Enfin presque tous ! Merci à vous d’être ici, ceux de Marseille et de PACA qui nous reçoivent, ceux des régions lointaines qui ont parcouru de longues distances, ceux qui, connaissant peu ou pas le MCC, sont venus attirés en premier lieu par le thème. Deux ans de préparation intense qui nous conduisent ici, dans la bonne ville de Marseille, où nous allons éprouver le grand souffle des rassemblements joyeux, festifs, qui font chaud au coeur.

À quoi sert un congrès ?

Heureusement que les congrès n’arrivent que tous les cinq ans’ au MCC ! Sinon ce mouvement ressemblerait un vaste bureau d’organisation de congrès, ce qui n’est pas son but. Ne vous trompez pas sur ce que je viens de dire. L’effort de préparation d’un congrès est toujours fructueux pour le mouvement lui-même.

Les congrès sont essentiels à la vie du MCC, parce qu’ils ne sont pas que des événements qui se consument en deux jours, ils sont bien plus que cela : des vrais parcours de réflexion, d’animation du mouvement dans les six coins de l’hexagone et bien au-delà (comme avec le message reçu des Salles, animateurs de deux équipes à Shanghai).

Les congrès sont aussi des occasions uniques d’éprouver la dimension humaine, conviviale d’un grand mouvement d’Église. Il ne s’agit pas là d’un concept, voulu par notre intelligence rationnelle et notre foi, il s’agit d’une réalité humaine concrète, palpable, que nous formons par notre rassemblement. C’est d’ailleurs la première raison pour laquelle on peut regretter l’absence d’une partie des membres du MCC ils n’auront pas vécu cela, ni éprouvé tangiblement cette réalité. Heureusement, ils ont pour eux les paroles du Christ : ‘, heureux ceux qui croiront sans avoir vu ‘. Je ne m’inquiète donc pas pour eux, qui sont de coeur avec nous.

Ceux qui ont participé aux congrès précédents le savent bien : un congrès est surtout un jalon dans notre existence, nourri par une foi vivante qui désire associer le spirituel et le réel, le divin et l’humain. Une foi incarnée dans nos existences et nos responsabilités, cela doit se dire ensemble de temps à autre, cela doit se ruminer, s’approfondir, dans la confrontation aux problèmes du monde qui nous est proposée.

Pourquoi ce thème de la solidarité ?

Nous avons fait le choix, comme l’avaient fait les responsables du mouvement avant nous, de construire ce congrès sur les préoccupations principales qui sont les nôtres aujourd’hui, et pas seulement les nôtres, celles de tous nos voisins, nos collègues, nos concitoyens. Les interrogations provoquées par la dureté de la compétition entre les hommes, celles qui proviennent du nécessaire accueil des autres, de la diversité désormais au coeur de nos sociétés, c’est vous tous qui les avez proposées il y a deux ans comme trame du futur congrès. Quelle prescience, quelle pertinence ! Nous sommes au coeur de la réalité sociale la plus actuelle.

Demain, serons-nous solitaires ou solidaires ? °, la question n’a jamais été aussi légitime, et la réponse chargée de conséquences. Non pas qu’il s’agisse d’opposer l’individuel et le collectif. Non, la vraie question est la suivante : Demain, serons-nous dominés par des attitudes de peur, de protection stérile, de compétition exacerbée entre les individus, au point de dissoudre le lien social pourtant nécessaire à toute société pour se construire un avenir ? Ou bien serons-nous capables de mettre en œuvre des comportements responsables, porteurs d’efficacité collective, attentifs à toutes les formes d’exclusion, dans la conduite des affaires économiques, sociales, politiques, à l’échelle de l’entreprise et de la cité ?

Le premier lieu où nous sommes invités à adopter une attitude de résistance au désenchantement ambiant est notre milieu professionnel, qui subit en première ligne les effets d’une logique économique qui tend souvent à oublier l’homme. Confrontés dans nos entreprises à la mondialisation des marchés, au déplacement des pôles d’innovation et de production, à la pression croissante des paramètres financiers, nous pensons que le maintien d’une solidarité effective entre les hommes dans l’activité économique est une condition primordiale.

Découvrir notre identité profonde

Plus largement, comment donner une autre perspective à la marche du monde ? Nous pensons que l’accueil de l’autre dans une société mondialisée et la prise en compte positive des transformations sociales sont un chemin pour l’humanité.
Le thème du congrès nous déplace en jouant sur le sens des mots : de solitaires – centrés sur nous-mêmes, nous pouvons devenir solidaires – tournés vers les autres. Le thème invite à convertir notre intelligence des situations. Il donne une clé pour comprendre ce à quoi nous sommes appelés dans une société en plein questionnement sur elle-même. Il ouvre sur le sens de nos responsabilités, à la mesure de nos convictions, il éclaire les choix possibles entre « savoir tirer parti des changements » ou seulement les « subir ».

D’où ce fil rouge de notre congrès : la solitude intérieure n’est pas un repli sur soi individualiste. Elle ouvre à la liberté de chacun qui permet de ressentir en profondeur la solidarité, l’engagement pour les autres, idéal de vie, dont nous nous rapprochons difficilement. Les autres, tous les hommes de la planète monde, nous forcent à découvrir notre identité profonde d’êtres humains de l’avenir de nos sociétés.

Christian Sauret

Extrait de Responsables n° 373 – novembre/décembre 2006