La consultante en développement des organisations, Chloé Grabli, expose sa vision des futures formes de travail pour mieux les anticiper

3.cgrabli.jpg Chloé Grabli a fondé Mensch Collective, un collectif de pionniers qui vise à transiter vers le monde du travail de demain en construisant des processus collaboratifs et innovants

Le monde du travail est à l’image de la société, il en est à la fois le produit et le producteur. Dans un monde en mutation, la question de l’évolution du travail est au centre des préoccupations. Quelles tendances observons-nous aujourd’hui et comment nous préparer pour demain ? Vers quelles nouvelles formes de travail allons-nous ? Quel sera le futur du travail ? Chloé Grabli, consultante en développement des organisations, nous livre sa réflexion sur le travail de demain.

Nous observons actuellement des signaux faibles qui laissent présager une mue profonde du monde du travail avec des impacts forts à la fois individuels et collectifs.

***Émergence de nouveaux métiers

Le digital permet d’automatiser les tâches répétitives pour lesquels l’humain apporte peu de valeur ajoutée et ouvre de multiples perspectives ; l’intelligence artificielle permet, quant à elle, de traiter rapidement les sujets les plus compliqués. En conséquence, de nombreux métiers vont disparaître et d’autres, apparaître : d’après plusieurs études, 60 % des métiers exercés en 2030 n’existent pas aujourd’hui. Les métiers qui sont en train d’émerger semblent mettre au travail notre spécificité d’être humain, comme l’empathie, la créativité ou l’imagination, et nous pouvons nous en réjouir. Cela invite également à repenser la question de la formation. Chacun doit veiller à apprendre tout au long de sa vie. Il n’y a plus de sens à séparer formation initiale et formation continue. La société doit accompagner ce mouvement et prendre en compte ces nouveaux besoins.

***Regain des métiers à fort impact sociétal

La recherche de l’impact sociétal et de l’épanouissement au travail semble prendre le dessus sur la recherche de gain financier.

D’un côté, l’économie sociale et solidaire est en pleine croissance et créatrice d’emplois. De même, la certification B-Corp qui vise à mettre l’entreprenariat au service du bien commun attire des entreprises de plus en plus nombreuses.

De l’autre, la recherche d’épanouissement personnel fait de nombreux adeptes et prend aujourd’hui la forme du « bonheur au travail », qui apparaît comme un palliatif à la violence au travail vécue par certains avec son slogan : « le bonheur de vos collaborateurs entraîne la performance économique de votre entreprise ». Le collaborateur est ainsi uniquement considéré comme une ressource en entretenant la confusion entre moyen et finalité et en oubliant que le travail est au service de l’humanité, et non l’inverse.

Dans cette invitation à repenser l’équilibre entre gagner de l’argent, se développer en tant que personne et contribuer pour la société, le slashing apparaît aujourd’hui comme une proposition efficace et serait peut-être le secret de l’épanouissement au travail. Slasher, vient du symbole « / » et signifie exercer plusieurs activités en parallèle : par exemple être salarié d’une grande entreprise, ce qui nourrit le besoin de sécurité financière, et en même temps être auto-entrepreneur et exercer son métier passion. Il s’agit d’une façon moderne de résoudre la tension entre les deux racines latines : labor (travail pénible, contraint) et opus (qui signifie œuvre et invite à la création, au progrès et à la liberté), en les séparant.

Cependant lorsqu’occuper plusieurs activités a pour unique intention d’obtenir un revenu correct, nous nous rapprochons plus de la précarité que de l’épanouissement et de l’équilibre.

***Le développement du travail indépendant

Enfin, l’économie de plateforme casse tous les codes relationnels. Les plateformes mettent en relation des professionnels qui offrent des services, des utilisateurs et des applications qui se relient via des API. Les modèles économiques sont bousculés. Il y a une redistribution des cartes entre le bénéficiaire, le payeur et le produit, avec comme boussole « si c’est gratuit, c’est que tu es le produit ». Le lieu de création de valeur est la mise en lien et la collecte de données.

L’économie de plateforme a favorisé l’émergence du travail indépendant, en freelance : des chauffeurs de taxi, mais également des graphistes, concepteurs web, rédacteurs, agents de voyages, formateurs,… Les talents et compétences sont appelés « à la demande », lorsqu’il y a un client. Ils sont ensuite notés, évalués pour chaque action. Cette économie peut être très réjouissante pour les plus talentueux, qui trouvent de la liberté, de l’autonomie ainsi que pour certains plus exclus, qui trouvent une activité rémunérée là où ils n’ont pas trouvé d’emploi. Cependant, cette organisation du travail peut mener à la précarité et à l’insécurité. La société doit agir pour donner de la protection à ces nouveaux travailleurs qui ne peuvent compter que sur eux-mêmes.

***Se relier et savoir participer à un collectif

Dans cette période complexe et en forte mutation, ce qui crée de la valeur semble être notre capacité à participer à un collectif et à rencontrer l’altérité pour créer du nouveau.
Depuis quelques années les espaces de co-working se multiplient pour répondre à la question de l’interdépendance : comment être un travailleur indépendant et en même temps faire partie d’une communauté qui apporte une forme d’ancrage et de protection ?

Depuis fin 2016, des tiers lieux se multiplient. Il s’agit d’espaces où se retrouvent grandes entreprises, start-up, indépendants, artistes avec la promesse que l’évolution et l’innovation émergeront de cette friction, de cette rencontre entre les différences. Dans ce monde post digital, nous allons travailler les uns avec les autres et non les uns comme les autres, les uns pour les autres ou les uns contre les autres.

Nous sentons que la notion de concurrence et de compétition est en train de laisser place à la coopération. Tout un écosystème, clients, partenaires, concurrents, saura se rencontrer au service d’un objet génératif, créateur de valeur pour la société. La compétence clé demain sera la capacité à participer à un collectif éphémère qui va se créer et se dissoudre en fonction des besoins.

Dans ce monde du travail, la liberté, la créativité, la responsabilité et la coopération semblent prendre le pas sur la contrainte, les procédures, la soumission et la compétition. La part sombre associée pourrait être la précarité, la diminution des revenus du travail et la nécessité de maintenir toujours un niveau de compétence élevé. L’État aura un rôle majeur à jouer pour garantir un équilibre, notamment en termes de protection sociale et de formation continue.

[/Chloé Grabli/]

[(Des travailleurs indépendants épanouis ? C’est le pari de Digital Village
« Le statut d’indépendant est très controversé. Perçu comme trop précaire et contraignant il n’incite pas à s’engager dans l’aventure. L’indépendant doit non seulement être expert dans son domaine mais doit aussi savoir être commercial afin de trouver des clients, savoir gérer sa comptabilité ou encore rédiger un devis. Ces tâches prennent énormément de temps et empêchent l’indépendant de se concentrer exclusivement sur le projet de clients.

Nous avons donc créé il y a 2 ans Digital Village pour permettre aux indépendants spécialisés dans le digital (directeurs artistiques, intégrateurs, développeurs, graphistes…) de se réunir et de partager leurs connaissances. Nous prenons en charge la partie administrative, commerciale et juridique de tous leurs projets. Ainsi Digital Village redonne du sens à leur travail en leur permettant de se concentrer exclusivement sur leur cœur de métier.

Notre nouveau modèle d’organisation du travail a beaucoup de succès car il place l’humain avant tout. Cet esprit de collaboration est bien loin de l’image négative que nous pouvons porter sur l’ubérisation de l’économie. Les membres du Village appelés aussi « villageois » ne sont pas liés par un contrat à Digital Village et sont donc libres de travailler avec ou sans nous à tous moments. Cette vision au service des indépendants a donc permis l’ouverture de 5 autres (Digital) Villages à Marseille, Strasbourg, Roissy-en-Brie, Toulouse et Bordeaux, tous ouverts par des indépendants ! »

/Bertrand Moine, co-fondateur de [Digital Village/])]