De son enfance parisienne dans une famille d’émigrés juifs polonais qui lui donne peu d’éducation juive, à ses premiers pas d’aumônier des étudiants catholiques à la Sorbonne jusqu’à ses années de cardinal archevêque de Paris, Henri Tincq, ancien chroniqueur religieux du Monde, n’oublie rien de la vie d’Aaron Jean-Marie Lustiger.


Ni des controverses qu’a toujours suscitées cet homme, devenu chrétien par son baptême librement consenti en 1940 après sa rencontre quasi simultanée du judaïsme et du catholicisme.

Henri Tincq raconte un homme éclectique, touche-à-tout, curieux de philosophie, des arts, de littérature et même de psychanalyse, qui a mené de farouches combats pour l’école, la bioéthique, les relations avec le judaïsme. Fils à la fois de l’ancienne et de la nouvelle Alliance, il s’est trouvé à ce double titre porteur d’un destin unique et prophétique, accomplissant son judaïsme en devenant catholique selon ses propres mots. « Je suis une provocation vivante » disait-il de lui-même… « Vous êtes le fruit de la prière du pape » affirmait en écho Stanislas Dziwisz, secrétaire de Jean-Paul II.

« Lulu » pour ses intimes et soutiens enthousiastes, Jean-Marie Lustiger est aussi « Lucifer » pour les solides ennemis qu’il ne manquera pas de se faire tout au long de sa vie. Peu porté au compromis, adepte du fait accompli, cet homme pragmatique aux colères légendaires n’hésite pas à passer en force, quitte à déplaire, pour imposer ses initiatives solitaires et s’il le faut, faire table rase du passé (formation des prêtres et des laïcs, communication de l’Église, etc.).

Ami de Jean-Paul II, fils comme lui d’une mère trop tôt disparue (à Auschwitz pour Gisèle Lustiger), il luttera comme lui aussi contre les idéologies matérialistes et permissives qui éloignent de Dieu, et sera l’homme de la réaffirmation catholique des années 1980-90, dite de la « nouvelle évangélisation ». A la fin de sa vie, Jean-Marie Lustiger dénonce un nouveau danger de totalitarisme, celui de la puissance de la finance. A la naissance de l’euro en janvier 2002, il aura ces mots qui résonnent tout particulièrement aujourd’hui : « L’euro est-il devenu notre but, notre idéal ? Une monnaie, oui, mais pour faire quoi ensemble ? ».

Marie-Hélène Massuelle

Jean-Marie Lustiger, Le cardinal prophète

Henri Tincq, Éditions Grasset 2012, 366 p. – 20,90 €