La photo, amusante – un homme prête ses jambes à la pendule qu’il transporte et qui le dissimule en partie – est illustrative. Le thème de l’article évoque les 35 heures dans le débat de la droite et du centre. Comment représenter en photo un tel sujet, sinon de manière allusive et suggestive ? Le temps nous engloutit, nous absorbe.


La question est au cœur de nos vies contemporaines et l’objet de bien des controverses, qu’il s’agisse du temps de travail, donc, des rythmes scolaires ou du changement d’heure, en automne et au printemps. De manière paradoxale, chacun le sent bien : le travail professionnel occupe moins de temps dans nos journées, beaucoup de tâches domestiques ont été allégées par les machines, les transports vont plus vite, la communication est quasi immédiate, nous vivons plus vieux : et pourtant le temps nous manque, nous ne le maîtrisons pas, il nous emporte dans une vague incontrôlable. Le monde des médias, avec les chaînes d’information en continu et les sites Internet, en fait à chaque minute l’expérience.

Ce temps accéléré, notamment par l’usage des nouvelles technologies, était le thème, les 12 et 13 novembre, du Congrès du Mouvement des cadres chrétiens (MCC) : « Accélérer jusqu’où ? L’homme au cœur du mouvement. » La Croix avait relayé la question en s’interrogeant sur la place de la spiritualité dans ce tempo… infernal. Car l’accélération se manifeste au travail, mais aussi dans la vie privée.

Jusqu’aux enfants et aux jeunes qui sont touchés. Leur temps de sommeil par exemple se raccourcit. Et combien de fois a-t-on pu regretter leurs emplois du temps surchargés : ils n’ont plus de « temps libre », ils désapprennent l’attente, l’ennui même. Ces parenthèses bénies qui permettent de s’ouvrir à ce qui n’est pas prévu, encadré, minuté, pour rêver, imaginer, admirer…

Au cours de la rencontre, des témoins sont venus expliquer comment ils résistaient à cette course effrénée : par le renoncement à la perfection (« Je ne mets plus un point d’honneur à avoir vidé ma boîte mail durant le week-end »), par des engagements au sein d’une équipe du MCC ou par un long temps de pause auprès d’un SDF, chaque semaine, au cours d’une maraude ; le médecin urgentiste prend une chaise, s’assoit auprès du patient, pour se mettre à sa hauteur et à son écoute ; le chef d’entreprise s’accorde une sieste au travail. Autant de stratégies personnelles de décélération.

Mais le besoin de « ralentissement » s’applique à la société tout entière, au monde économique, à celui des relations interpersonnelles. Le sociologue et philosophe allemand Hartmut Rosa juge l’accélération comme une forme d’aliénation, et met en lumière les risques de désynchronisation qu’elle entraîne dans certains domaines qui, précisément, ont besoin de long terme, de continuité : la protection de la nature, le soin aux personnes, la politique, par exemple. La démocratie ne peut avancer à marche forcée, a-t-il expliqué ; il lui faut respecter le temps de l’écoute, le temps d’expliquer un monde de plus en plus complexe, le temps d’élaborer les consensus et les réponses à apporter. La maturation plutôt que l’immédiateté. En sommes-nous encore capables ?

[/Dominique Quinio, présidente des Semaines sociales de France,

ancienne directrice de La Croix, dans La Croix du 21 novembre 2016
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