11.stbasile.jpg Luc de Saint-Basile est curé de la paroisse Notre-Dame de la Nativité de Bercy à Paris. Il est l’aumônier d’équipes depuis de plus de vingt ans et a été aumônier régional des JP puis de la région Paris









Le discernement spirituel met en regard de façon réciproque les événements que nous analysons ensemble en réunion d’équipe et la compréhension toujours renouvelée que l’Esprit nous propose dans l’écoute attentive des Écritures et des textes du magistère. Dès lors quelle place réservons-nous à la Parole de Dieu dans le discernement en équipe ? Les conseils de Luc de Saint-Basile, aumônier d’équipes MCC.

La « vie spirituelle » désigne la vie de l’homme qui se laisse guider par l’Esprit Saint (« Spiritus »). Mais même présentée comme cela, la vie spirituelle risque d’être mal comprise. On risque d’en faire un secteur particulier de la vie : il y aurait la vie de famille, la vie professionnelle, la vie intellectuelle et, à côté, la vie spirituelle. Ce serait cette partie de la vie où, l’on se consacre plus spécialement à la rencontre de Dieu, à la prière, à la lecture de sa Parole. On se plaindra alors de ne pas lui donner assez de place dans sa vie. Ou bien on réservera la vie spirituelle à temps plein à quelques privilégiés (prêtres, religieuses, moines, etc.…), qui ont le temps de s’y consacrer totalement. C’est là réduire indûment la notion de spiritualité ! C’est bien toute la vie du chrétien qui doit être emplie de spiritualité, c’est-à-dire animée à chaque instant par l’Esprit Saint.

La mission du MCC est « d’aider ses membres à agir davantage selon l’Esprit du Christ dans tous les lieux où s’exercent leurs responsabilités, partout où s’élaborent et se déterminent leurs décisions » (cf. Charte) Pour se faire, il est nécessaire de mettre l’écoute de la Parole de Dieu au cœur du partage en équipe.

[*Discerner avec le Christ*]

Ce qu’on appelle, dans la pédagogie du MCC, « le Chemin d’Emmaüs », et dont la trame se retrouve dans le déroulement de toute réunion d’équipe, est décrite en trois temps (cf. Lc 24, 13-35) : voir en conversant (les disciples racontent ce qui s’est passé) – discerner avec le Christ (« Il leur interpréta, dans toute l’Écriture, ce qui le concernait ») – agir d’un cœur transformé (les disciples reviennent témoigner de leur rencontre avec le ressuscité).

Nos réunions restent parfois centrées sur la première partie de la démarche : le récit d’une situation, où l’un, voire deux, équipiers se trouvent impliqués, ou particulièrement concernés. Cela peut faire l’objet d’un thème de réunion que l’on a envoyé si possible auparavant à chacun, ou de la description d’un cas concret à partir duquel on va échanger.

La deuxième étape est souvent plus difficile mais pourtant essentielle si l’on ne veut pas se contenter d’un simple « état des lieux ». C’est véritablement le temps du discernement. Et c’est à ce moment là qu’intervient l’Écriture.

[*Les précautions à prendre*]

Pour que la Parole de Dieu puisse vraiment aider l’équipe à avancer dans ce discernement, il est nécessaire de prendre d’abord un certain nombre de précautions.

En premier de ne pas chercher un texte qui colle immédiatement à la situation qu’on vient d’évoquer. Dans la plupart des cas, l’Écriture ne dit rien qui puisse éclairer directement les situations économiques, financières, commerciales ou industrielles auxquelles les membres du MCC sont confrontés. Il faut donc se défendre d’un concordisme qui cherche à plaquer, sans recul historique, à des événements ou paroles de Jésus. En ce sens, il est parfois intéressant d’utiliser les paraboles qui n’entrainent pas le lecteur à se projeter dans le comportement des personnages, mais sollicitent plutôt à inventer, en tenant compte des circonstances, la conduite qui est à la pointe de la parabole.

Le deuxième danger vient souvent de notre manque de culture biblique qui nous fait toujours choisir les mêmes textes : la Bible ne se résume pas à la parabole des talents (Lc 19, 12-27), ou celle du Bon samaritain (Lc 10, 25-37). En ce sens, toute initiative qui aiderait à se familiariser un peu plus avec l’Ecriture est importante.

Mais beaucoup plus que cela, cette étape demande d’abord de prendre de la distance avec les questions et problèmes qui viennent d’être partagés ; elle invite donc à une certaine gratuité. Il nous faut oublier pour un temps nos soucis et la situation présente pour entrer dans l’écoute et l’intelligence du texte qui devient un vrai travail intérieur, où l’on accepte de se laisser déplacer, d’être affecté par ce qui est écrit et raconté.

[*La Parole qui nourrit*]

« Notre cœur n’était-il pas brûlant en nous, tandis qu’il nous parlait sur la route et nous ouvrait les Écritures ? » C’est le constat fait par les deux disciples quand Jésus ressuscité a disparu de leur regard. En ce sens, la méditation de l’Écriture agit en nous de plusieurs manières.

Elle nous fait prendre de la hauteur par rapport aux impasses dans lesquelles nous nous trouvons pour entrer dans un autre temps, le temps de Dieu. Tout ce que nous vivons va alors être situé dans un projet qui nous dépasse, une longue histoire d’Alliance entre Dieu et l’humanité

Elle « oriente » notre vie en lui donnant un sens, dans les deux assertions du terme : signification et direction. En « orientant » (en tournant vers l’Orient, le lieu symbolique du soleil levant et de la résurrection) notre marche, nous pouvons traverser les épreuves de la vie avec cette espérance que toute mort, tout échec, peut être relu comme un événement pascal, traversé par la mort et la résurrection du Christ et ferment de vie nouvelle.

En nous ouvrant au Tout-Autre, elle nous ouvre aussi aux autres, en nous rappelant que le projet de Dieu a une dimension universelle – en privilégiant le souci des plus pauvres – et concerne le bien commun de toute l’humanité.

« Je pris le petit livre de la main de l’ange, et je le dévorai. Dans ma bouche il était doux comme le miel, mais, quand je l’eus mangé, il remplit mes entrailles d’amertume » (Ap 10,10). Nourris par la Parole de Dieu, nous pourrons alors agir d’un cœur transformé.

[/Luc de Saint-Basile/]

[(« Braquer peu à peu le projecteur vers la Parole »
Au cœur de nos trépidantes vies d’équipe, parenthèses dans une non moins active vie professionnelle, les textes bibliques peinent parfois à trouver une place… même quand on choisit de suivre un chemin d’Emmaüs. On aimerait convoquer le texte juste et on est parfois déçu, lorsqu’on a juste le texte de circonstances, celui qui correspondait bien au thème retenu mais qui se révèle éculé ou plaqué par rapport à la teneur de notre échange. Difficile équilibre que celui de faire résonner – et non seulement raisonner- la Parole dans nos échanges !
Une fois passé l’exercice nécessaire de lecture des notes accompagnant le texte pour ne pas se tromper dans l’interprétation, la contemplation en équipe, souvent facilitée par des récits très imagés de l’action de l’homme et de la réponse de Dieu, nous donne souvent des clefs de discernement et d’espérance. J’ai très souvent découvert dans cette lecture partagée des paroles inouïes dans des textes que j’avais déjà entendus des dizaines de fois commentés, comme si chaque co-équipier braquait peu à peu le projecteur vers la parole qui m’attendait et que j’attendais !
C’est en effet la force du texte biblique de faire bouger nos certitudes : le Dieu de la Bible est à la fois plein d’amour et de colère, non réductible à l’image que nous pouvons nous en faire ; les hommes de la Bible, même quand ils appartiennent au peuple choisi, sont loin d’être des saints. Le monde est ainsi au cœur du récit de l’alliance de Dieu avec l’homme, comme un espace où la justice n’est jamais donnée mais est à construire dans l’espace et le temps. L’écoute de ce récit nous appelle dès lors à nous engager dans l’action dans ce monde et à nous engager sur le chemin de notre liberté d’homme et de femme, dessein d’amour de Dieu pour nous. Sa Parole devient alors Dialogue pour discerner notre vocation et le sens de notre vie.

[/Claire Collignon, 40 ans, ancienne membre de l’équipe Pajenvol/]

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