Ce qui compte le plus dans la vie, est-ce seulement «ce qui se compte» ? La domination des approches chiffrées sur toutes nos activités, tel est le sujet de la longue enquête à laquelle Jean-Claude Guillebaud s’est livré pendant trois ans pour écrire «La Vie vivante», son dernier livre paru aux éditions Les Arènes


Il y embrasse l’ampleur des mutations contemporaines : économiques, technologiques, biologiques, sociales, culturelles. Entrant dans les coulisses des laboratoires à travers de nombreuses publications spécialisées. La démonstration est sans appel : c’est un livre qui compte.

Il y dévoile l’énormité du diagnostic : la dématérialisation progressive de notre rapport au monde, aux autres, à nous-mêmes, particulièrement à notre corps. Bref, au réel. A l’humain. « Cette nouvelle liquidité du monde induit tant de métamorphoses que nous sommes aveuglés par le brouillard du virtuel. Comme dans le poème de Goethe, le roi des Aulnes, il nous fait confondre l’adversité avec une simple trainée de brume. »

Au terme de la lecture des huit chapitres qui composent « La Vie vivante », vient la question particulièrement préoccupante de savoir si l’on peut résister à cette domination. Il répond qu’à ses yeux, « chaque mutation, qu’elle soit technologique, économique, biogénétique ou géopolitique, porte en elle, intimement mêlés, le meilleur et le pire ». Et nous encourage à ne jamais renoncer au « goût de l’avenir ». Il invite à tracer des chemins de micro – résistances, permettant de nous re- axer et de retrouver l’importance d’ une Vie vivante. Pour ceux qui croient que « le verbe s’est fait chair », la réflexion de Jean-Claude Guillebaud ne peut qu’enrichir la volonté d’avancer.

Anne-Marie de Besombes

Deux extraits :

«Nous mesurons mal l’emprise de cette pensée du nombre. Elle est un peu comme l’air que nous respirons sans en prendre garde, une fausse évidence que nous avons intériorisé sans nous en rendre compte .Les médias lui font la part belle sans penser à mal. Songeons à l’habitude prise de publier, semaine près semaine, toutes sorte de classement selon des critères quantitatifs…On prétend chaque fois tenir compte des paramètres qualitatifs, mais c’est souvent un argument de pure forme.

Le plus extraordinaire est sans doute de faire que cette survalorisation quasi maniaque du quantitatif et des statistiques fait l’objet de critiques sévères de la part des statisticiens eux-mêmes ». (p 82)»

«Avec l’effacement programmé de l’individu et sa mise en réseau, des notions comme le but, la volonté, l’objectif, le projet, le dessein sont renvoyées au néant du vieux monde. A quoi bon le volontarisme s’il n’y a plus de but, mais seulement des boucles rétroactives sans fin ? Au demeurant, que signifie la volonté humaine dans un monde où prévalent la fluidité et l’incertitude, et où l’homme n’est plus que le résultat toujours provisoire, toujours fluctuants d’interactions génétiques ou de stimuli informationnels?» (p 147)