Schizophrène, le « manager numérique » ? Les yeux rivés sur ses tableaux de bord avec des KPI (Key Process Indicators) mis à jour en temps réel, gardien de la conformité de processus standardisés ? Ou coach d’équipe, stimulateur de la créativité et de la co-construction, « leader serviteur » voire « leader libérateur » ?

Notre vision du rôle du manager en entreprise ou en administration demeure marqué par les principes du taylorisme, datant d’il y a plus d’un siècle : division du travail, cloisonnement entre ceux qui commandent, ceux qui pensent et ceux qui exécutent… Son rôle relève du « command and control ».

Même si ces concepts ont été mis en cause depuis plusieurs décennies, avec notamment les idées du management participatif, force est de constater que cette vision a plutôt été renforcée par l’informatisation puis la digitalisation :

  • Le travail est formalisé, standardisé en processus outillés par de puissants logiciels (ERP comme SAP pour la gestion – finances, CRM comme Salesforce pour les ventes, SIRH comme HR Access pour les Ressources Humaines). Dans ce cadre, il devient quasi impossible pour les employés de garder des espaces de créativité. Le travail dans les services devient répétitif, peu intéressant, voire aliénant.
  • Les progiciels sont capables quantifier et analyser ces processus, de remonter en temps réel des quantités impressionnantes d’indicateurs et de tableaux de bord (cf. la Business Intelligence). Le « Command and Control » n’a jamais été aussi doté d’autant de potentialités, et les cadres passent environ 40% de leur temps (selon le magazine Challenges) à effectuer du reporting.
  • Le numérique a tendance à abolir les distinctions entre temps/ lieu de travail et temps/ lieu personnel, ce qui a été renforcé par le développement du télétravail lors des périodes de confinement. D’où un sentiment accru d’aliénation.

Pourtant, le numérique permet également de changer favorablement les organisations du travail et le rôle des managers. Son environnement est en changement permanent, la créativité des salariés devient un facteur de succès incontournable. Le modèle des start-ups californiennes, agiles, souples, à management « aplati » essaime dans les grandes entreprises et les administrations. Co-construction, intelligence collective, transparence, droit à l’erreur, « test and learn », bienveillance, autonomie, encouragement à l’initiative des salariés, décloisonnement des activités… deviennent des valeurs cardinales.

Les managers et cadres sont invités à changer de rôle, devenir des coaches, encourageant et coordonnant les initiatives de leurs collaborateurs. Ils deviennent des « servant leaders », des facilitateurs, plus que des chefs ou des contrôleurs.

Quelques ressources pour aller plus loin :

« Comprendre »

  • A quelles occasions perçois-je le numérique comme un outil contraignant, aliénant pour moi ou pour les collaborateurs ?
  • Combien de temps consacré-je au reporting ? Est-ce que je subis une tyrannie du tableau de bord ? Ou suis-je moi-même fasciné par tous ces indicateurs ? Me donnent-ils une impression de puissance et de contrôle ?
  • Quel type de relation hiérarchique ai-je avec mes collaborateurs (si j’en ai) ? Autoritaire ? Participatif ? Bienveillant ? Et inversement, quel type de relation ai-je avec mon supérieur ?
  • Me sens-je libre vis-à-vis de mes messageries, mes e-mails et autres outils (Teams…) ? Est-ce que j’arrive à me déconnecter ? Quand j’envoie une demande, est-ce que j’attends une réponse immédiate ?
  • Le droit à la connexion : une bonne idée ? Une chimère ?
  • Le numérique a-t-il vidé mon travail de son sens ? Puis-je prendre des initiatives ? Ai-je le droit à l’erreur, ai-je des marges de manœuvre ? Qu’en pensent mes collaborateurs, collègues, supérieurs ?

« Espérer »

  • Les méthodes participatives de co-construction, type design thinking, ateliers post its etc. me développent-elles dans mon entreprise ou administration ?
  • Quelle position ai-je par rapport à ces méthodes : perte de temps, illusion de la participation ; ou vraie occasion de redonner la parole aux collaborateurs, de stimuler leur créativité, de leur donner un rôle plus intéressant ?
  • Suis-je moi-même encouragé par ma hiérarchie à être plus innovant, créatif, à prendre plus d’initiatives… ? Et de mon côté, est-ce que je consulte mes collaborateurs (si j’en ai), est-ce que je les aide à exprimer leur créativité ?
  • Le « servant leader », le manager coach : une réalité, une belle idée, ou une illusion ?
  • Mon entreprise ou mon administration encourage-t-elle ses salariés à lancer leurs propres projets en leur donnant du temps et/ou des ressources ?
  • Le fait de travailler en mode projet décloisonné avec des personnes ayant d’autres compétences que moi me dérange-t-il ou me stimule-t-il ?
  • Ces nouveaux modes de management issus du numérique redonnent-ils du sens au travail ?

« Agir »

  • Comment puis-je sortir de l’obsession du reporting ?
  • Comment puis-je mieux canaliser l’exigence d’immédiateté que créent les outils numériques ?
  • Suis-je prêt(e) à sortir de mon rôle de « command and control » ?
  • Comment puis-je encourager les personnes avec qui je travaille à prendre plus d’initiatives, leur donner des marges de manœuvre, admettre un droit à l’erreur ? Comment puis-je devenir un manager plus bienveillant et participatif ?
  • Et moi, comment puis-je persuader ma hiérarchie de me donner plus d’espace de créativité ?
  • Ai-je envie de me lancer dans l’intrapreneurship, de développer un projet dont je suis l’auteur au sein de mon entreprise ou de mon administration ?
  • Comment puis-je développer mes compétences et mes savoir-êtres pour évoluer vers un rôle de « coach » ou de « servant leader » ?
  • Comment puis-je donner plus de sens à mon travail et à celui de mes collaborateurs ?