Médecin en soins palliatifs, je travaille dans une équipe mobile au sein d’un grand hôpital. Une équipe mobile, c’est une petite équipe composée en général d’infirmiers, de psychologues et de médecins, qui se déplace dans tous les services (cancérologie, pneumologie, cardiologie, gériatrie, médecine interne, réanimation, chirurgie…), répondant aux appels des équipes soignantes, pour apporter conseil et expertise dans notre spécialité : les soins palliatifs, c’est-à-dire l’accompagnement global de toute personne atteinte d’une maladie grave et incurable, et dont le décès est attendu à plus ou moins long terme.

Nous sommes appelés pour une aide à la prescription (d’antidouleurs le plus souvent), une aide à l’orientation d’un patient, ou un appui à la réflexion sur le projet de soins et les actions à engager.

À la porte d’un patient, nous frappons, entrons doucement, nous asseyons auprès de lui, et prenons le temps de l’écouter, autant que possible. Ensuite, nous rencontrons parfois la famille, et là encore, nous prenons le temps. Nous écoutons les craintes, entendons les espoirs, recueillons les souffrances (physiques, psychologiques, familiales, sociales, spirituelles), ressenties par le patient, ses proches… ou les soignants qui se relaient jour et nuit à son chevet. Nous accompagnons les équipes, formidables, dans une temporalité autre, là où ils n’ont souvent d’autre choix que de courir toute la journée. Nous tentons de contribuer à humaniser un peu le monde de l’hôpital débordé, trop souvent désincarné. Nous doutons, nous tâtonnons, nous débattons, avec respect et bienveillance. Nous essayons, dans tous les cas, d’apporter du soulagement.

Certaines fois, nous sommes accueillis à bras ouverts par nos confrères, comme des habitués dont les conseils sont estimés et attendus. Il arrive également que nous marchions sur des œufs, proposant une prise en charge parfois radicalement à l’opposé de ce qu’ils ont entamé. Nous ne faisons pas. Nous suggérons. Et, dans ce compagnonnage, se logent les plus belles collaborations et parfois les plus grandes frustrations. Cette adaptation permanente est notre force et notre croix, réfléchissant sans cesse dans l’intérêt du patient, proposant des solutions plus ou moins complètes selon ce que nos collègues sont prêts à envisager.

Toujours, nous cherchons à remettre au centre la parole du malade, qui est bien souvent une parole de raison, le refus de tout acharnement, pendant que certains de nos confrères (parfois influencés, voire menacés par les proches) s’épuisent à proposer des espoirs toujours plus fous et des chances d’amélioration toujours plus fines. Nous pallions ce qui s’apparente parfois à une fuite en avant de la consommation de soins, qui mène à l’obstination déraisonnable : ce qui est techniquement faisable n’est pas toujours éthique. Pour cela, nous proposons une autre voie, petite et discrète, celle de la dé-prescription, de la dé-maîtrise, de l’acceptation parfois crucifiante de l’inévitable, en évitant des détours superflus. Et en composant avec une vieille connaissance, l’ambivalence humaine, entre lâcher prise et acceptation, combativité (heureusement souvent utile et justifiée !) et peur de la mort. Ambivalence qui réside derrière tous les fronts, y compris souvent les nôtres.

Si ces situations déclenchent des émotions et réactions aussi fortes, c’est qu’elles sont intrinsèquement violentes, du fait de la rupture, plus ou moins brutale, opérée avec l’état « normal ». On ne peut pas faire l’économie de cette violence, inhérente à la maladie grave et à la mort. Mais par nos mots, nos explications, nos techniques, nos médicaments, notre présence malgré tout, nous tentons d’en atténuer les conséquences, et de ne pas y ajouter celle de certains soins ou examens devenus inutiles. Et c’est dans ces rencontres intenses, touchant au plus intime, que nous trouvons la force, le lendemain, de revenir, et de recommencer.

 

Clotilde Nollet