Quand on sait ce que nous sommes, il serait ridicule, vraiment, de n’avoir pas dans notre amour,

un peu d’humour.

Car nous sommes d’assez comiques personnages.

Mais mal disposés à rire de notre propre bouffonnerie.

Seigneur, je vous aime plus que tout… en général…

mais tellement plus que vous, dans cette petite minute qui passe,

une cigarette anglaise… ou même gauloise !

Seigneur, je vous donne ma vie, toute ma vie… mais pas ce tout petit morceau de vie,

Ces trois minutes où je n’ai tellement pas envie d’aller travailler.

Seigneur, vous gagner la ville, et la France et l’univers, me consumer pour votre règne…

mais… mais ne pas écouter cette insupportable créature

qui me raconte pour la centième fois ses minuscules ennuis.

Oui, nous sommes des héros de comédie bouffe et de cette comédie,

il serait normal que le premier public soit nous.

Mais là n’est pas le bout de l’histoire.

Quand on a découvert cet impayable comique, quand on est parti d’un grand éclat de rire

en récapitulant la farce de sa vie, on est tenté de s’abandonner, sans plus,

à une carrière de clown pour laquelle après tout on semble assez doué.

On serait volontiers tenté de penser que cela n’a pas grande importance

et qu’à côté des sublimes, des forts, des saints,

il y a place pour des pitres et des guignols et qu’ils ne gênent guère Dieu.

Ce n’est certes pas très exaltant, mais ce n’est pas non plus

très fatigant et c’est encore un avantage.

C’est alors qu’il faut nous souvenir

que Dieu ne nous a pas créés pour de l’humour

mais pour cet amour éternel et terrible

dont il aime tout ce qu’il crée depuis toujours.

C’est alors qu’il nous faut l’accepter, cet amour

non plus pour en être le partenaire splendide et magnanime

mais le bénéficiaire imbécile sans charme sans fidélité fondamentale.

Et dans cette aventure de la miséricorde,

il nous est demandé de donner jusqu’à la corde ce que nous pouvons,

il nous est demandé de rire quand ce don est raté, sordide, impur,

mais il nous est demandé aussi de nous émerveiller

avec des larmes de reconnaissance et de joie,

devant cet inépuisable trésor qui du cœur de Dieu coule en nous.

A ce carrefour du rire et de la joie s’installera notre paix inconfusible !

Humour dans l’amour, Madeleine Delbrêl, Nouvelle Cité, Paris avril 2005

(texte écrit en 1946), extrait pp.25-27

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