Pourquoi avoir choisi de parler de ce film, qui vient de sortir en DVD après avoir été sélectionné pour le festival de Cannes 2009 et avoir obtenu un César en 2010 (meilleur second rôle féminin) ? C’est l’histoire, vraie, d’un petit escroc qui se trouve embarqué par les circonstances à la tête d’un chantier d’autoroute, et va permettre à toute une population locale de reprendre espoir grâce à l’activité déployée par le chantier.

Histoire peu édifiante à maints égards, et guère défendable aux yeux du droit et de la morale. Sauf que c’est une histoire humaine incroyable, une séquence de vie dense et riche des relations et des sentiments qui naissent et s’entrecroisent, notamment dans la tête du personnage principal.

Celui qui se fait appeler Philippe Miller n’a jamais pensé, manifestement, qu’en acceptant d’être pris par les habitants d’une bourgade pour un ingénieur de travaux publics préparant la réouverture d’un chantier d’autoroute, il mettait le doigt dans un engrenage qui allait transformer son regard sur l’existence et surtout sur les autres. Le réalisateur montre bien la panique qui l’envahit quand il se rend compte très vite qu’il ne peut plus reculer, puis le culot avec lequel il se lance dans l’affabulation toujours plus loin, enfin le moment où il sent qu’il ne va plus pouvoir donner le change à son chef de chantier. Il fuit, mais c’est déjà trop tard. Il croise sur la route un des jeunes qu’il fait travailler et auquel il ne parvient pas à refuser son aide. Le regard nouveau qu’il a commencé à porter sur autrui l’emporte. Ce jeune lui renverra à ce moment une phrase-clé du film. Il a compris que son patron n’est qu’un imposteur au passé pas clair, et il se contente de lui lancer à la figure : « c’est pas un drôle de truc de pouvoir changer la vie des gens ? ».

De petit escroc, Miller se mue en une sorte de bienfaiteur des gens qu’il emploie. Il ne veut pas qu’ils se fassent avoir une nouvelle fois. Il veut aller au bout du chantier dans des délais assez courts, pense-t-il, pour ne pas être démasqué. De prudent et effacé, il devient de plus en plus déterminé et aussi souriant, heureux de se trouver au centre d’une aventure qui redonne vie au village voisin du chantier. Mais les gens s’inquiètent, la méfiance grandit, et Miller paie de sa personne pour colmater les brèches. Dans une intrigue de plus en plus serrée et dramatique, il utilisera tout l’argent reçu au titre de commissions de la part des fournisseurs pour couvrir les dettes du chantier et payer les ouvriers. Une parole, presqu’à la fin, exprime sobrement la distance psychologique qu’il a parcourue : « j’ai eu de la chance de les rencontrer ».

Le film met aussi en scène les sentiments contradictoires des personnes qui ont eu confiance en Miller, qui ont peut-être projeté sur lui leurs propres inquiétudes et ont été aveuglées par l’espoir qu’il incarnait. Plusieurs personnages jouent des rôles importants dans le déploiement du processus qui entraîne Miller dans cette aventure inconnue. Ce sont eux qui accompagnent sa transformation psychologique et s’en trouvent eux-mêmes changés. Dans l’histoire réelle, il est dit que les fournisseurs locaux trompés par Miller ont refusé de porter plainte contre lui après son arrestation.

Ce film est beau, déjà sur un plan purement cinématographique, et les acteurs sont excellents. Mais ce qui donne envie d’en parler, c’est avant tout sa densité humaine. Sous l’effet de la duperie d’un homme, qui demeure moralement inacceptable, la vie économique locale repart, les habitants d’un village retrouvent un meilleur goût à vivre. Le chantier d’autoroute, fictif et pourtant bien réel, suffit pour quelques mois à sortir du marasme un bout de pays sans travail. Peut-être le réalisateur a-t-il voulu nous confier une interrogation : comment un homme, condamnable par son comportement, devient-il cependant capable de produire des actes éminemment positifs pour ses semblables et pour lui-même ?

Chritian Sauret

Membre du comité de rédaction

A l’origine, Xavier GIANNOLI, sorti en salles le 11 nov. 2009

sélection officielle du festival de Cannes 2009

Sortie DVD le 24 mars 2010

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