Dans notre dernier numéro de Responsables et son dossier « Accompagner vers la liberté », Monique Baujard, théologienne, présidente des Amis de La Vie et membre du comité de pilotage de Promesses d’Église, nous livre ses réflexions sur la crise que traverse l’Église mais nous propose aussi des ressources pour mieux la traverser. Nous mettons à votre disposition ce très intéressant article tout à fait d’actualité en cette période de synode. Vous pouvez aussi soutenir la revue du mouvement en vous abonnant ici Responsables.

Cette crise provoque chez de nombreux catholiques un sentiment d’effondrement. D’un côté, sous l’effet de la sécularisation, les catholiques deviennent minoritaires en France. De l’autre, la crise des abus sexuels, de pouvoir et de conscience finit par décrédibiliser ce qui reste de l’institution. Deux phénomènes en apparence très différents, mais qui ne sont pas sans lien pour Monique Baujard[1].

SÉCULARISATION ET AUTONOMIE DU SUJET

La sécularisation ne date pas d’hier mais elle s’est beaucoup accélérée à la fin du XXe siècle. L’histoire montre que l’Église a toujours résisté à ces évolutions. Avec l’avènement de la démocratie et de l’industrialisation, elle a perdu son ascendant sur la vie sociale et elle s’est en quelque sorte repliée sur celui de la vie privée. Le pape Léon XIII en offre un bel exemple. Son encyclique Rerum Novarum de 1891 marque le début de la pensée sociale de l’Église. Une pensée qui sera toujours attentive au contexte économique et social et qui donne aux catholiques des repères pour s’orienter dans un monde qui change. L’Église finit par y accepter l’autonomie du monde et comprendre que sa parole est là pour l’éclairer. Mais le même pape Léon XIII a publié en 1880 une autre encyclique, Arcanum Divinae, moins connue, dans laquelle il s’oppose à l’idée du mariage civil et argumente que le mariage relève de la compétence exclusive de l’Église ! Cette volonté de renforcer le contrôle sur la vie privée des personnes va s’étendre jusqu’à la vie intime des couples avec des encycliques comme Casti Connubii en 1930 et Humanae Vitae en 1968. Contrairement aux textes de la pensée sociale, les textes sur la morale sexuelle offrent peu ou pas de marge pour la conscience personnelle. Le point de vue de l’Église s’impose aux fidèles. L’Église peine à reconnaître l’autonomie du sujet alors que c’est justement ce qui caractérise les sociétés occidentales aujourd’hui. La diminution du nombre des catholiques est à chercher, notamment, dans cette évolution. Pour nos contemporains, il est difficile de se sentir partie prenante d’une institution qui n’accepte pas l’autonomie du sujet.

UN DISCOURS MORAL HORS SOL

À cela s’ajoute que le discours de l’Église en matière de morale sexuelle s’est développé hors sol et n’a, par exemple, jamais pris en considération le point de vue ou les aspirations des femmes. Son discours s’adresse à un monde parfait et s’est éloigné de la vie réelle au point de devenir incompréhensible, et même inaudible, pour nos contemporains. Hormis les traditionnalistes qui ont d’autres motivations, ceux qui restent dans l’Église où la rejoignent encore, sont les croyants qui ont développé une relation personnelle avec le Christ qui leur permet d’accepter l’institution avec ses imperfections. La révélation des multiples scandales d’abus sexuels dans l’Église a fini par emporter la confiance de ces catholiques engagés. Les affaires d’abus de pouvoir, de conscience, d’emprise montrent en plus que les abus sexuels ne sont que la partie émergée de l’iceberg et qu’il y a bien un problème systémique lié à l’exercice du pouvoir dans l’Église. Une réforme en profondeur s’impose. À travers cette crise, le caractère artificiel du discours de l’Église sur la morale sexuelle se dévoile. Il s’agit d’un discours théorique, qui fait fi des réalités et fragilités humaines. Il ne s’intéresse pas à la vie des personnes, il est inopérant pour la vraie vie. C’est dans cette méconnaissance que les deux phénomènes se rejoignent et qu’un effet de ciseaux s’opère. Une Église qui, d’un côté, méconnaît l’autonomie du sujet et qui, de l’autre côté, offre un discours théorique qui sonne faux et n’aide pas à s’orienter dans la vie, passe à côté des besoins de ses contemporains. Il ne faut dès lors pas s’étonner qu’elle connaisse une réelle désaffection.

TRAVERSER LA CRISE

Si ces éléments peuvent, parmi d’autres, expliquer la crise actuelle, celle-ci n’en reste pas moins douloureuse à vivre pour beaucoup de catholiques. Certainement, faut-il accepter qu’une figure historique du christianisme est en train de passer et que de nouvelles formes de vie chrétienne émergent et émergeront[2]. À titre personnel, je pense que nous disposons de ressources pour traverser la crise. Revenir à la Bible, c’est déjà revenir à la vie réelle et constater que Dieu rejoint les humains à travers le chaos de leurs vies, souvent marquées par la violence, les trahisons, etc. Les Psaumes nous font partager le sort de tous ces femmes et hommes qui, depuis la nuit des temps, crient leur détresse vers Dieu qui jamais ne déçoit leur confiance. Et puis, l’Évangile nous apprend que quand tout s’effondre, la croix du Christ reste solidement plantée, un vrai appui. L’Évangile n’est pas un discours théorique, il nous offre une boussole pour la vie.

Au niveau de l’Église, il faut espérer que le synode sur la synodalité aille jusqu’à examiner les racines de la crise, en ce qu’elle touche à l’exercice de l’autorité et la séparation entre clercs et laïcs.

Enfin, pour un mouvement comme le MCC, il s’agit d’éviter de se cantonner dans un discours convenu et d’écouter le monde. Le besoin de fraternité et d’accueil inconditionnel, si souvent exprimés aujourd’hui, peut être assumé par les équipes du MCC. Leurs membres sont au contact avec beaucoup de personnes qui ignorent le Christ ou s’en sont éloignés. Ils voient combien jeunes et moins jeunes se débattent avec la question du sens du travail et leurs difficultés à choisir dans la vie. Le simple témoignage d’une vie qui garde le Christ comme boussole reste précieux, hier comme aujourd’hui.

Monique Baujard

[1] Ancienne avocate (1983-1991), ayant longtemps travaillé avec la Conférence des évêques de France en tant que directrice du Service National Famille et Société, Monique Baujard a publié récemment, en collaboration avec les Xavières, « J’écouterai leur cri. Cinq regards de femmes sur la crise des abus » (Éd. Emmanuel, 2022).

[2] Le site www.ecclesialab.org recense et analyse ces nouvelles initiatives.