Nos intérêts personnels doivent-ils, seuls, guider notre vote ? Ou bien devons-nous nous décentrer afin de prendre en compte des préoccupations communes ? Pour nous aider à réfléchir, le père Luc Dubrulle définit la notion de bien commun et s’attache à la relier au vote.

Que signifie la notion de bien commun ? Qu’est-ce qu’il est ? Qu’est-ce qu’il n’est pas ? Est-il la somme de ce qui est bien pour chacun ? Dès lors, comment passer, dans notre vote, de l’intérêt particulier au bien commun, et articuler le « je » et le « nous », comme nous y invitent les évêques de la CEF (Retrouver le sens du politique, p49). Le spécialiste de théologie morale sociale Luc Dubrulle, pour qui « la doctrine sociale de l’Église, c’est l’Évangile continué », nous éclaire.

Dans Caritas in veritate (n° 7), Benoît XVI définissait le bien commun comme le bien du « nous-tous ». Et le pape François, s’appuyant sur Paul VI en parle comme cet ensemble de conditions sociales permettant le développement humain intégral, c’est-à-dire de chaque homme et de tous les hommes.

 

La préoccupation commune du meilleur bien de chacun

Le bien public est souvent compris comme ce qui appartient en commun à tous, et qui de ce fait, ne peut faire l’objet d’une appropriation personnelle

Le bien public est souvent compris comme ce qui appartient en commun à tous, et qui de ce fait, ne peut faire l’objet d’une appropriation personnelle : il peut recouvrir ce qu’on nomme parfois les communs, ou encore les biens communs. L’intérêt général peut désigner l’intérêt du plus grand nombre, de la majorité. Quand on parle de bien commun au singulier, on veut désigner cette préoccupation commune du meilleur bien de chacun sans laisser aucune personne sur le bord de la route, préoccupation qui se traduit notamment dans l’existence d’institutions politiques. Le bien commun est ordonné à l’être des personnes.

 

Le bien de chacun comprend le bien des autres

Le souci du bien commun n’est pas à comprendre comme un sacrifice du bien personnel

Le souci du bien commun n’est pas à comprendre comme un sacrifice du bien personnel. Si l’on pensait cela, c’est que l’on se tromperait sur ce en quoi consiste effectivement le bien d’une personne. En fait, on considèrerait simplement l’individu indépendamment de ses relations à autrui et de sa vraie réalisation. On réduirait la personne à l’individu autocentré. Or, ce qui distingue l’individu de la personne est que cette dernière n’existe justement qu’en relation à autrui et à tout autrui. Sans autre, pas de personne ! De sorte que le bien commun défini comme le bien de la communion des personnes est non seulement essentiel au bien personnel mais il y est inclus et le comprend. En effet, le bien commun inclut le bien de chaque personne puisqu’il y est même ordonné. Et réciproquement, dans la mesure où la personne n’est telle qu’en communion à autrui, son propre bien comprend le bien des autres.

 

En famille

L’expérience conjugale et familiale l’atteste d’ailleurs au quotidien. Un conjoint tire aussi sa joie et son accomplissement du bien de l’autre. Se marier n’est finalement rien d’autre que de lier son bien à celui d’un autre et de concevoir le sien dans le bien de la communion du couple. Que le divorce soit justement expérimenté comme une déchirure identitaire atteste bien a contrario ce qui se joue dans le mariage. L’être-en-communion est la véritable identité de la personne. Cela se vérifie notamment dans les relations enfants-parents et parents-enfants. Les enfants tirent leur source, ainsi qu’une part de leur identité, de la communion conjugale dont ils sont les fruits. Et tout au long de leur vie, et quelles qu’en soient les difficultés, les parents sont aussi constitués par ce que leurs enfants deviennent : cela fait partie de leur propre vie. Bien commun familial et bien personnel, c’est tout un !

 

Dans la vie sociale

Quand un membre de la cité souffre, il souffre lui-même ; et quand un autre se libère et grandit, c’est tous qui croissent

Cette expérience familiale est exemplaire quant à la vie sociale. Imaginons que nous vivions les relations sociales, économiques et politiques à la manière dont nous vivons les relations familiales, dans la même relation entre bien commun et bien personnel. Le bon citoyen se comprend comme une personne dont le propre bien est lié aux biens des autres et de tous les autres de la cité. Quand un membre de la cité souffre, il souffre lui-même ; et quand un autre se libère et grandit, c’est tous qui croissent. Le bien commun, c’est le bien de toute la famille humaine, normalement préoccupée d’entretenir un patrimoine favorable à la vie des générations à venir.

 

Par le vote intégrer le bien de tous à notre propre bien

Le bon vote n’est pas celui en faveur d’un programme qui favorise notre bien particulier, mais envers celui qui offre les meilleures garanties des conditions du bien commun

Nous pouvons devenir de plus en plus des personnes politiques, qui intègrent le bien de tous les hommes et femmes de la cité à leur propre bien. Du coup, le bon vote politique n’est pas celui en faveur d’un programme qui favorise notre bien particulier, mais envers celui qui offre les meilleures garanties des conditions du bien commun, c’est-à-dire du développement humain intégral de chaque homme et de tous les hommes. Ici comme souvent, la préoccupation des pauvres est le lieu-test de cette orientation. Dans la conception du bien commun, l’option préférentielle pour les pauvres est une attestation qu’on décide de ne laisser personne au dehors, car il en va de la vérité du “nous” en laquelle nous comprenons ce que nous sommes. Mais il ne s’agit pas seulement de voter pour des programmes. De façon encore plus essentielle, le vote est moins le choix d’un programme qu’une élection de personnes. Notre conscience politique doit alors chercher la ou les personnes en qui nous avons la plus haute estime et la plus grande confiance dans leur propre conception du bien commun.

Pour autant, si l’élite politique exerce une charge spécifique vis-à-vis du bien commun, cette responsabilité échoit à tous. Tous nos actes quotidiens, alimentaires, financiers, économiques, relationnels, ont un effet sur le bien commun. Le pape François invite à sortir de nous-mêmes en mesurant leur impact sur autrui. C’est dire qu’ils peuvent contribuer ou pas à une plus grande communion. Au ciel, ce sera ! Vivement que cela vienne sur la terre, plus vite !

Luc Dubrulle, père, président-recteur délégué de l’université catholique de Lille et aumônier d’équipe MCC à Arras. Il est co-auteur de Notre bien commun (2015, Atelier)