Avec un nombre considérable de victimes, l’épreuve du confinement et la crise économique consécutive, la pandémie est pour beaucoup source de découragement ou de désespérance. Contre la tentation de baisser les bras sur quelles ressources spirituelles nous appuyer ? S’inspirant de l’épisode de Jésus marchant sur l’eau, Karem Bustica nous livre quelques clés.

Il y a un récit des évangiles qui retient tout particulièrement mon attention quand je me demande : « … et Dieu dans tout ça ? » Il s’agit du récit de Jésus marchant sur l’eau. L’Évangile rapporte trois versions de cet épisode en Marc 6, 45-52, en Jean 6, 16-21 et en Matthieu 14, 22-33.

Les disciples pris dans la tempête

Curieusement, aucune trace de cette aventure chez Luc. Les trois récits s’accordent pour dire que Jésus est seul, sur la montagne et que les disciples prennent la mer. Alors que le vent se lève et que la mer est houleuse, les disciples ont peur et Jésus les rejoint en marchant sur l’eau. Pour finir, dans les trois versions, Jésus s’adresse à ses disciples : « C’est moi, n’ayez pas peur. » Les discordances sur ce passage sont tout aussi intéressantes à relever. Par exemple, vers où se dirige cette barque ? Elle navigue vers Bethsaïde selon Marc, alors que Jean la situe vers Capharnaüm. Quant à Matthieu, il ne donne aucune précision de lieu. Autre différence : comment finit l’épisode ? Chez Marc, Jésus monte dans la barque, le vent se calme et les disciples sont bouleversés. Dans Jean, les disciples veulent faire monter Jésus dans la barque mais ils sont déjà rendus sur la rive. Et Matthieu met longuement en scène l’apôtre Pierre et finit son récit par la profession de foi de ceux qui sont dans la barque. Que retenir de ces premiers éléments ? Nous rappeler que les évangiles ne sont ni des reportages journalistiques ni des documentaires. Mais plutôt des récits à visée catéchétique et théologique. Leurs auteurs, avec les genres littéraires de l’époque, cherchent à traduire une expérience spirituelle : celle des témoins de Jésus ressuscité.

 

Jésus à bord

Ce récit témoigne de l’expérience intime des premiers chrétiens : le Seigneur ressuscité est présent à chacun de nos combats, quels qu’ils soient

La version de Matthieu m’intéresse plus particulièrement. Au début (v. 22) Jésus oblige les disciples à monter dans la barque et à le précéder sur l’autre rive alors qu’ils viennent de nourrir une foule avec cinq pains et deux poissons. « Aussitôt », après avoir rassasié une foule affamée, il est légitime de penser que Jésus oblige ses disciples à se déplacer, à changer de rive afin d’intérioriser ce dont ils viennent d’être les témoins. En effet, ce surprenant repas improvisé est une expérience spirituelle pour eux.

Pendant ce temps (v.23), Jésus renvoie la foule et se met à l’écart sur la montagne, seul. Il prie. Et vient le soir, et il est toujours là. Dans la barque, l’équipage combat le vent contraire loin des rivages et en pleine nuit. Le temps est à la manœuvre, à la maîtrise de l’embardée. Enjeu d’équipage, chacun à son poste puise dans son expérience des caprices de la mer. Comme dans une véritable traversée spirituelle. Rien d’étonnant alors que l’évangéliste Matthieu remarque dans son récit (v. 26) la peur des disciples en croyant voir un fantôme venir vers eux. Parce qu’un combat spirituel est souvent un lieu de mirages et de confusion, où seul le discernement dans la foi permet d’en sortir fortifiés. « Confiance, c’est moi, n’ayez pas peur ! » (v.27) fait dire à Jésus notre narrateur. Autrement dit, reconnaître Jésus, lui faire confiance et sortir de la peur marquent ici la victoire spirituelle des disciples. Est-ce alors pour leur dire cela que Jésus rejoint ses disciples par la mer ? Les surveillait-il du haut de la montagne tandis qu’ils étaient ballotés par les vagues ? Venait-il leur prêter main-forte face à la violence du vent ? On ne le sait pas… et ça n’a pas d’importance. En effet, ce récit témoigne de l’expérience intime des premiers chrétiens : le Seigneur ressuscité est présent à chacun de nos combats, quels qu’ils soient.

 

La doctrine sociale en recours

À la lumière de l’Évangile, l’Église a développé les principes de doctrine sociale qui peuvent nous aider à préparer l’avenir dont nous avons besoin

À sa manière, le pape François rend compte de cette même expérience lorsque dans l’audience générale du 5 aout dernier, il débute une catéchèse appelée : « Guérir le monde ». Son intention ? « Garder notre regard solidement fixé sur Jésus en ces temps de pandémie, et explorer ensemble la manière dont notre tradition sociale catholique peut aider la famille humaine à guérir ce monde qui souffre de graves maladies. » À cette occasion le Saint-Père rappelle que l’expertise de l’Église n’est pas dans la prévention ou dans le soin de la pandémie même si elle administre la grâce du Christ qui guérit à travers les sacrements, et qu’elle organise des services sanitaires dans les lieux les plus reculés de la planète. Aussi, que les préconisations socio-politiques spécifiques sont la tâche des dirigeants. Toutefois, nuance-t-il, au cours des siècles et à la lumière de l’Évangile, l’Église a développé certains principes qui sont fondamentaux et qui peuvent nous aider à aller de l’avant, pour préparer l’avenir dont nous avons besoin. Le pape rappelle alors les principes de la doctrine sociale de l’Église, si chers à notre Mouvement : la dignité de la personne, le bien commun, l’option préférentielle pour les pauvres, la destination universelle des biens, la solidarité, la subsidiarité, la sauvegarde de notre maison commune. Ces principes, affirme François, aident les dirigeants et plus largement tous ceux qui exercent des responsabilités dans la société à faire progresser la croissance ainsi que la guérison du tissu personnel et social, comme dans ce cas de pandémie.

 

Notre responsabilité de chrétiens

La suite du récit de Matthieu éclaire les acteurs avisés que nous sommes du monde du travail et de l’entreprise, habitués à relire nos responsabilités à la lumière de la tradition sociale de l’Église. Pierre entre en scène (v. 28). Aux assauts météorologiques s’ajoutent les sursauts de la foi pour ce pêcheur d’hommes effrayé par un fantôme. Et si c’était le Seigneur ? La foi de Pierre a désormais un visage, une voix, et bientôt une main tendue pour le sortir des profondeurs dans lesquelles il s’engouffre. Pierre, bon marin, est probablement aux commandes de la manœuvre pour maintenir cette barque à flot. L’apôtre est aussi proche de Jésus et sait par expérience que le Seigneur peut le conduire vers une réalité spirituelle très concrète, comme celle de la foule rassasiée avec cinq pains et deux poissons qu’il vient de vivre. Le Seigneur est Dieu. Pierre marche ainsi sur l’eau, tant que sa foi le lui permet (v. 29). Alors, au plus haut niveau de ses compétences de marin expérimenté, le disciple choisit de saisir la main de son Seigneur en qui il reconnaît le Messie, le Fils de Dieu (v. 30-33).

Donc, que retenir du passage de « Pierre marchant sur l’eau » pour traverser notre crise pandémique ? De mon point de vue, cet épisode éclaire la manière dont nous sommes appelés à traverser les urgences. Dans la crise Covid, les gestes barrière par exemple, ont un effet sur la dimension épidémique. L’application des principes de la doctrine sociale de l’Église agit sur les conséquences économiques et sociales au niveau local et planétaire. Nous devons les mettre en place, c’est notre responsabilité comme c’était la responsabilité de Pierre de manœuvrer à bord de sa barque. Cependant, aucune solution opérationnelle aussi performante et pertinente soit-elle ne peut prendre la place de Dieu. Le Salut est l’affaire de Dieu.

 

Karem Bustica, journaliste, rédactrice en chef de Prions en Église. Elle est accompagnatrice d’équipe MCC.
Date de publication : 27/08/2020


Quelques pistes de réflexion pour aller plus loin

  • La crise sanitaire suscite en nous des sentiments paradoxaux et évolutifs. Pouvons-nous les nommer ?
  • Comment pouvons-nous nous aider, en équipe, à reconnaître cette crise sanitaire comme une expérience spirituelle ?
  • Alors que le pape François nous invite à guérir le monde de ses maladies sociales, comment les principes de la doctrine sociale de l’Église peuvent-ils nous aider ?
  • Qu’est-ce qui peut nous soutenir lorsque nous sommes tentés de détourner notre regard du Christ ? Comment pouvons-nous enraciner notre foi en Dieu, l’unique sauveur ?