À la tête du site d’e-commerce solidaire Label Emmaüs, boutique en ligne qui a fait entrer Emmaüs France sur internet, Maud Sarda se réjouit que le confinement ait dopé les commandes et que l’occasion séduise de plus en plus de consommateurs. Pour elle, il est possible d’entrer dans le monde de demain en agissant dès aujourd’hui. Elle s’est confiée à Responsables, nous reproduisons ci-après son témoignage, à retrouver dans Responsables n° 449 (automne 2020).

« Les chiffres parlent d’eux-mêmes : 2 consommateurs sur 3 disent vouloir donner plus de sens à leurs achats. La consommation responsable n’est plus l’apanage d’une petite niche de la population, c’est désormais une tendance de fond qui ne fait que croître depuis le confinement.

Chez Emmaüs, depuis 70 ans qu’existe ce mouvement, nous constatons depuis longtemps cette évolution dans nos 450 points de vente, ainsi que sur notre marketplace (ou site e-commerce multi vendeurs) solidaire, Label Emmaüs, dont le volume d’activité double d’une année sur l’autre depuis sa création en 2016. Le site propose aujourd’hui un catalogue de plus d’un million de produits d’occasion, mis en ligne par des centres Emmaüs, Envie, Croix- Rouge, ou encore des ressourceries. Derrière chaque fiche produit, se trouve une personne en parcours d’insertion, formée à gérer une boutique en ligne de A à Z, du shooting produit à la gestion d’un back office informatique, en passant par la rédaction web et le conditionnement des colis.

Véritable contre-modèle aux sites marchands classiques, Label Emmaüs a constaté pendant le confinement une augmentation notable du trafic et des commandes sur son site : +100 % d’audience par rapport à la même période en 2019 (versus 50 % d’objectif pour 2020) et surtout un taux de conversion (pourcentage de visiteurs qui font une transaction) qui est de 1,5 % des internautes à 2,5 % (ce taux est généralement compris entre 2 et 3 % pour un site mature). Notre site n’avait jamais connu une telle activité, y compris pendant les périodes de déstockage avec des baisses de prix importantes ou même des frais de livraison offerts, alors même que le catalogue de produits du site n’a été que très peu renouvelé pendant le confinement puisqu’une grande partie de nos vendeurs ont malheureusement dû stopper leurs activités.

Visiblement, les consommateurs ont donc profité de cette parenthèse forcée pour réfléchir à leurs choix de consommation : 44 % d’entre eux disent avoir pris conscience qu’ils consommaient des choses qui ne leur étaient pas indispensables et 45 % pensent que la crise modifiera durablement leurs habitudes d’achats, selon le baromètre mensuel Horizon Conso. Évidemment, la diminution temporaire de la concurrence a beaucoup joué, en particulier pour notre librairie solidaire dont les commandes ont été multipliées par 4. Notre principal concurrent sur ce segment de produits demeure Amazon, or face à la dénonciation des conditions de travail dans leurs entrepôts, beaucoup de consommateurs s’en sont détournés au profit d’alternatives comme Label Emmaüs. Malgré le volume exceptionnel de commandes et un fonctionnement en mode dégradé, nous avons réussi à préparer tous les colis, grâce à une équipe de salariés volontaires, pouvant se rendre à l’entrepôt à pied.

Cependant la consommation est faite d’habitudes, et les mauvaises reviennent souvent très vite, surtout quand on recommence à recevoir chaque jour des mails et sms de promotions agressives, notamment en  période annuelle de soldes. C’est pourquoi, nous avons lancé une campagne de sensibilisation intitulée « Soldons le monde d’avant » avec le hashtag #secondemainpourdemain ! L’objectif étant que les consommateurs ne retournent pas à l’hyperconsommation du « monde d’avant » car la consommation responsable est aujourd’hui accessible en ligne comme en boutique, et acheter de la seconde main a un réel impact environnemental, sans compter que sur notre site, bonnes affaires riment avec bonnes actions ! L’activité de vente en ligne aura déjà permis de former plus de 400 personnes d’ici la fin de l’année, cela dans le domaine du numérique et de la logistique, et de créer environ 50 emplois. Le bilan carbone que nous avons réalisé pour notre plateforme logistique sur l’activité 2019 a également prouvé que son impact écologique était 7 fois inférieur à celui d’un magasin physique ayant le même volume de vente. Enfin, 60 % de nos marchands sur la marketplace n’utilisent que des emballages récupérés et nous avons fait le choix de ne pas faire de livraison express, dont la logistique est particulièrement mauvaise pour l’environnement.

L’Économie sociale et solidaire (ESS) est une alternative crédible, elle l’a prouvé pendant cette crise. Et faire du e-commerce de façon solidaire et éco-responsable est possible. Il nous faut maintenant installer durablement et plus largement cette préférence d’achat, porter à grande échelle les valeurs du mouvement fondé par l’abbé Pierre, « une deuxième vie pour les objets, une seconde chance pour les hommes et un bel avenir pour la planète » ! ».

Maud Sarda

Mini-bio

2005 : diplômée de l’EDHEC

2010 : entre chez Emmaüs France

Depuis 2016 : cofonde et dirige Label Emmaüs, coopérative et entreprise d’insertion

2019 : ouvre une école e-commerce inclusive

2020 : lance le site de dons en ligne Trëmma pour financer des projets solidaires

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