Dans une tribune publiée dans La Croix du 5 juin 2020, Monique Baujard, (ancienne directrice du Service national Famille et société de la Conférence des évêques de France), Véronique Fayet (présidente du Secours catholique), Marie Mullet Abrassart (présidente des Scouts et guides de France), Véronique Prat (responsable nationale du MCC), Dominique Quinio, (présidente des Semaines Sociales de France), réagissent à la candidature d’Anne Soupa à l’archevêché de Lyon et plaident pour un partage des responsabilités avec les femmes dans l’Église, dans le cadre de la question plus globale du rôle des laïcs. Nous la reproduisons ci-après.

« Une femme candidate à l’archevêché de Lyon ! Depuis la déclaration provocatrice d’Anne Soupa, les catholiques s’interrogent. Les uns soutiennent la démarche, les autres s’exaspèrent ou la jugent inopportune, d’autres encore sont indifférents et pensent que le combat est ailleurs, rappelant que les chrétiens ont aussi à s’impliquer dans le monde pour le rendre plus juste et plus solidaire. Mais l’initiative vient bousculer l’imaginaire catholique et cela, c’est une bonne chose. Faut-il, pour autant, agir par la provocation ?

Nous avons besoin, tous ensemble, d’inventer l’Église de demain, une Église capable d’accompagner les interrogations existentielles de nos contemporains. Ce n’est pas, bien sûr, la pertinence de l’Évangile qui est en cause, mais la façon de l’annoncer, de le partager, dans une société qui comprend de moins en moins le langage et les symboles avec lesquels les catholiques expriment et célèbrent leur foi. Dans un monde qui change rapidement, l’Église a besoin de sortir des chemins battus. Le pape François nous y invite, lui qui plaide pour une Église « en sortie ».

Mais nous sommes comme prisonniers de notre imaginaire. Un imaginaire façonné pendant des siècles par et pour des hommes, il faut le reconnaître. L’Écriture, l’interprétation des événements et de l’histoire, la théologie, la gouvernance de l’institution, la prédication : tout cela a été l’apanage exclusif des hommes pendant des siècles. Dans ces conditions, il n’est pas évident que des hommes d’Église décident spontanément de partager ces responsabilités avec les femmes. Comment ne pas voir non plus que la théologie peut être mise au service d’un statu quo ?

L’image de l’Église s’est fissurée

Le partage des responsabilités avec les femmes n’est d’ailleurs qu’un aspect de la question plus globale du rôle des laïcs. Aujourd’hui, l’image de l’Église s’est fissurée en raison des nombreux abus commis en son sein. Abus sexuels, abus de pouvoir et de conscience, relations spirituelles qui débouchent sur des situations d’emprise : les exemples se sont multipliés et ont provoqué un haut-le-cœur parmi les catholiques. Au-delà des fautes et déviances individuelles, se révèle en effet un imaginaire qui a mis le prêtre ou le fondateur de communauté sur un piédestal, qui en a fait un homme au-dessus de tout soupçon. Il est urgent de déconstruire cet imaginaire-là, pour établir des relations plus fraternelles qui tiennent compte des fragilités de chacun et de chacune.

Enfin, nous sommes encore prisonniers d’une vision territoriale de l’Église, présente avant tout à travers les paroisses. Or celles-ci rassemblent de moins en moins de personnes et les croyants qui participent à la vie de ces paroisses n’y trouvent pas toujours la nourriture spirituelle qu’ils recherchent. Rejoindre nos contemporains implique d’inventer d’autres lieux d’Église et beaucoup d’initiatives, parfois modestes, voient déjà le jour. Cela implique sans doute de réfléchir à d’autres ministères. Christoph Theobald a déjà suggéré des ministères de la gouvernance, de la Parole et de l’hospitalité. D’autres options sont certainement envisageables.

Les instances de dialogue font défaut

Inventer l’Église de demain demande de pouvoir parler de cet imaginaire, des fossés existants avec la réalité que vivent les catholiques et de travailler à sa transformation. La lettre du Pape François au Peuple de Dieu nous y invitait instamment. Or, les instances de dialogue font défaut dans l’Église. Lorsqu’il n’y a guère de lieu pour aborder la question du rôle des femmes dans l’Église, certaines pensent n’avoir d’autre solution que le coup d’éclat et la provocation. Cela n’est pas seulement vrai en France où Mgr Michel Dubost, qui assure actuellement l’intérim à Lyon, a cherché, en vain, à convaincre ses confrères de constituer un groupe de travail autour de ce sujet. Au niveau de l’Église universelle, les papes ont écrit maintes déclarations sur « le génie féminin » et le rôle des femmes dans l’Église, mais ils n’ont jamais institué un vrai dialogue avec les femmes.

Aujourd’hui, des chemins sont possibles et l’Allemagne nous en donne l’exemple. Le synode national, lancé à l’initiative des évêques allemands en étroite collaboration avec des laïcs, aborde des questions sensibles : la morale sexuelle, le rôle des femmes, l’exercice du pouvoir et les voies de recours contre les abus, le célibat des prêtres. Les discussions et votes y obéissent à un protocole strict et les échanges permettent aux évêques et aux laïcs, et donc aux femmes, de s’écouter mutuellement et de prendre en considération les arguments des uns et des autres. En France, les évêques ont déjà invité des laïcs à venir discuter avec eux autour des questions de l’écologie. C’est un sujet très important qui bouscule nos modes de vie et qui, par ricochet, pourra contribuer à renouveler aussi l’Église. On rêverait d’aller plus loin aujourd’hui et que les évêques en France préparent aussi un synode national qui aborderait de front quelques-uns des problèmes auxquels l’Église est confrontée. De nombreux catholiques sont prêts à travailler avec eux pour imaginer l’Église de demain. »

@Mathieu de Muizon