La chute de l’URSS en 1991 nous avait fait entrer dans une nouvelle ère, celle d’une « mondialisation heureuse ». Certains, comme Francis Fukuyama, annonçaient même « la fin de l’histoire ». La guerre en Ukraine vient mettre un terme à cette euphorie et nous ramène quarante ans en arrière. Nous avons cru que le développement des échanges, en assurant une interdépendance entre les économies des divers continents, conduirait à une impossibilité des conflits tels que nous en avions connu au XXe siècle.

La guerre en Ukraine nous apparaît d’autant plus monstrueuse que nous ne l’avons pas vue venir. Ce n’étaient pourtant pas les signes annonciateurs qui manquaient. Poutine avait annoncé depuis le début qu’il reconstituerait l’empire soviétique. Depuis son élection en 2000, toute son action a été orientée en vue de cet objectif unique. L’aveuglement des Occidentaux et en particulier de l’Union européenne n’en est que plus coupable. L’Europe se réveille aujourd’hui totalement dépendante du gaz russe, mais aussi de nombre de matières premières ou de pièces métalliques semi-ouvrées qui venaient de Russie ou d’Ukraine. Nous pensions naïvement que Poutine n’oserait pas mettre ses menaces à exécution car ce serait suicidaire pour la Russie. Mais la rationalité de Poutine et des nationalistes autoritaires n’est pas celle des démocraties.

Dépendante du gaz russe, l’Europe l’est aussi des USA pour sa défense. Si elle s’est endormie et a cru qu’elle pouvait sans risques s’en remettre à la Russie pour son approvisionnement énergétique, elle s’en est de la même façon remise à l’OTAN, c’est-à-dire aux USA, pour sa défense et sa sécurité. Sans voir que, depuis vingt ans, l’Amérique ne considère plus l’Europe comme un enjeu prioritaire, que seule la Chine la préoccupe, l’Europe a continué à faire confiance au parapluie américain et à négliger sa défense.

Le réveil est brutal, mais salutaire. Confrontée au réchauffement climatique et à la nécessité de recourir à d’autres sources d’énergie que le gaz et le pétrole russes, elle va devoir accélérer considérablement le développement des énergies renouvelables. Parallèlement, comme la crise sanitaire a été un révélateur de la dépendance invraisemblable de l’Europe à la Chine et à l’Inde pour ses approvisionnements en médicaments et en matériel sanitaire, la guerre en Ukraine vient révéler à l’Europe sa faiblesse sur le plan de sa défense et de sa sécurité. Et, de même que pour lutter contre les effets de la crise sanitaire, l’Union a réussi à convaincre les pays « frugaux » et à se mettre d’accord en 2020 sur un plan de relance ambitieux et qui passe par un endettement mutualisé, les 27 ont décidé à l’unanimité, avec une rapidité inédite, des sanctions massives contre la Russie malgré les immanquables répercussions sur leurs économies, ainsi qu’une augmentation spectaculaire de ses investissements dans la défense, ce qui était encore impensable il y a quelques mois. L’idée d’une défense européenne revient fortement sur le devant de la scène. Sur la question des réfugiés, là aussi, les mentalités ont radicalement changé et les pays de l’est européen accueillent aujourd’hui à bras ouverts les Ukrainiens qui fuient la guerre.

Poutine a plus fait en dix jours pour renforcer l’Union et l’OTAN que n’en avaient fait les nations européennes en cinquante ans. Il est dommage que ce soient toujours les crises qui fassent prendre conscience aux Européens de leur communauté de destin et de l’impérieuse nécessité de leur union.

Claude Bardot, ancien co-responsable du secteur Nord des Hauts-de-Seine, secrétaire général de la section des Hauts-de-Seine du Mouvement européen