Un aspect ignoré de la construction européenne contemporaine réside dans l’acquis considérable du cadre mis en place depuis une vingtaine d’années pour la politique commune de l’asile, des migrations et la gestion coordonnée des frontières extérieurs dites frontières Schengen. Il est vrai que cet acquis est récent, lié à la préparation du grand élargissement des années 2000. Il est resté discret car les ministres de l’Intérieur des pays de l’Union européenne (UE) en charge de son élaboration ne recherchent pas les « feux de la rampe ».

Ce cadre est conséquent et cohérent, construit autour de la préservation d’un espace intérieur de libre circulation des personnes qui implique une gestion coordonnée des flux migratoires et tout particulièrement de l’asile. Il a néanmoins montré de graves défaillances au cours des années 2015/2016. L’UE s’est alors trouvée confrontée à une double crise, à la fois de l’asile (avec près de 1,8 millions de nouvelles demandes enregistrées en 2 ans) et de la migration (plus de la moitié de ces demandes n’ont pas été reconnues comme donnant lieu à une protection juridique et n’ouvraient donc pas sur un permis de séjour régulier). Les images très fortes des situations chaotiques et souvent inhumaines vécues par les migrants faute d’une capacité européenne ordonnée d’accueil, de traitement et d’intégration continuent de hanter les esprits. La crise migratoire a été exploitée par les forces les plus populistes et nationalistes pour devenir l’argument d’un affrontement politique dont l’enjeu est la prise de contrôle des institutions européennes.

Faut-il ou non dans le contexte des prochaines élections européennes parler de cette crise migratoire et des moyens d’y faire face ? Poser cette question c’est y répondre. À l’évidence, les idées et les forces qui détricotent l’acquis européen se complaisent dans le pourrissement de la situation. Il y a donc urgence à apporter des réponses en pensant à cette majorité d’Européens qui doutent et ne sont pas pour autant xénophobes. Un rapport de l’Institut Jacques Delors, paru en novembre 2018 s’y emploie (Pour une politique européenne de l’asile, des migrations et de la mobilité, Institut Jacques Delors, nov. 2018). J’y ai pris une part active, dans le prolongement d’une session des Semaines sociales de France qui dès 2011 s’intitulait « Migrants, un avenir à construire ensemble ».

Les propositions du rapport ont un caractère global. Elles se situent dans le court, le moyen et le long terme. Elles tentent d’embrasser à la fois le point de vue des Européens et celui des pays d’origine. On ne peut les exposer ici en détail. On se contentera de dire qu’elle prennent le contre-pied de quatre défaillances majeures dans la conception du dispositif européen actuel : il omet de considérer les migrants comme autant de personnes ayant des capacités et des projets personnels ; il n’applique pas le principe de solidarité dans l’accueil des demandeurs d’asile, principe pourtant inscrit dans le traité de l’UE ; il se montre d’une extrême frilosité pour ce qui concerne les migrations de travail et les nouvelles mobilité internationales ; enfin il repose sur une conception erronée du lien entre migration et développement.

La question migratoire ne nous lâchera pas de sitôt. Elle requiert à la fois une volonté politique neuve et des personnes engagées sur le terrain pour réussir l’accueil, l’intégration et le retour. Là se trouve aussi la force de la pensée sociale chrétienne qui permet de relier les dimensions proprement interpersonnelles de l’hospitalité et celles politiques de l’intégration et de la gestion des flux. L’Europe est devenue le cadre où ces dimensions pourront à l’avenir se tisser.

Jérôme Vignon, ancien président du MCC