Peut-on inventer Dieu ? La question pourrait paraître provocante, si l’auteur n’était pas spécialiste mondialement reconnu de l’Ancien Testament et titulaire de la chaire “milieux bibliques” au Collège de France.

En historien, l’auteur part d’une constatation simple : un parchemin ou un papyrus ne dure que quelques décennies. À chaque génération, les copistes ont réécrit les manuscrits à leur disposition en puisant dans les sources des peuples voisins, réinterprétées en fonction des expériences religieuses du moment. Ainsi, les hauts fonctionnaires de l’Antiquité réécrivaient l’histoire au fur à mesure des conquêtes ou des défaites de leur roi. Parallèlement, les prophètes interprétaient les prophéties de leurs prédécesseurs en fonction de leur accomplissement. Enfin, les prêtres exilés à Babylone entre 597 et 538 av. J.-C ont répondu à la crise religieuse en utilisant les mythes qu’ils y ont découverts. S’est constitué ainsi un corpus pluriel, défini comme «livres sacrés» par les rabbins du 2e siècle après Jésus-Christ. L’adoption de Yahvé, son ascension comme Dieu tutélaire des royaumes d’Israël et de Juda, l’imposition de la monolâtrie sous Josias (qui règne de 639 à 609 av. J.-C), puis la conception d’un Dieu créateur à l’époque perse ont pris plus d’un millénaire. Pour une part, l’invention du monothéisme a consisté à affirmer la foi d’Israël en déclarant idolâtres les peuples alentours, mais aussi à discerner l’apport des autres expériences religieuses.

En conclusion, Thomas Römer souligne le danger de favoriser la version exclusive du monothéisme, et rappelle sa composante pacifique et universelle. Dans un contexte tenté par la radicalisation, cette lecture, parfois éprouvante, peut garder les croyants de toute intransigeance en présentant la Révélation comme un long travail de discernement.

Bertrand Hériard, aumônier national

Thomas Römer, L’invention de Dieu, Coll. point histoire, éditions du Seuil, Paris, 2017, 9,50 €, 337 p..