Ancien élève des travaux publics de l’État (TPE) puis de l’école des Ponts, André Talmant venait de prendre sa retraite d’inspecteur général des ponts et chaussées quand je l’ai rencontré. Il m’a aidé à fonder le Centre Éthique Technique et Société. Il a publié avec Pierre Calame, L’État au cœur, DDB, 1997. Il avait été membre de l’USIC de 1960 à 1965. Il nous a quittés le 4 juin 2022.

Vous étiez membre de l’USIC, pourquoi n’êtes-vous pas rentré au MCC après la fusion avec le Miciac en 1965 ?

Je suis rentré à l’USIC en sortant de l’école des Ponts en 1960 parce que son président Jacques Poulet Mathis m’avait beaucoup impressionné. Il était libre par rapport à l’ordre établi. Son rapport au réel était bien-fondé. Comme directeur adjoint de l’Oream Nord (organisme régional d’étude et d’aménagement d’aire métropolitain), il a pris une part importante à l’élaboration du schéma régional du Nord-Pas-de-Calais. C’est dans ce cadre qu’a été fixé l’itinéraire du TGV et affirmée la vocation européenne de la Métropole de Lille. Par la suite, il a participé au sixième et préparé le septième plan de développement économique et social (1971-1980). Avec l’USIC, il organisait des journées d’étude qui nous obligeaient à l’objectivité. À son l’école, j’ai découvert un sentiment de liberté par rapport au réel. Je le défendais calmement. Les jeunes du Miciac me paraissaient beaucoup plus soumis à l’ordre établi, la semaine à leur chef, le week-end à leur curé. Ils étaient payés pour travailler, non pas pour réfléchir. Certes ils se soutenaient mutuellement, mais il ne leur venait pas à l’idée de chercher un bien supérieur à celui de leur entreprise. Ils voulaient rester chrétiens dans leur travail, un point c’est tout. Par exemple, le Miciac défendait la sacro-sainte notion de secret professionnel. C’est dommage que leur influence sur le MCC ait été prépondérante.

Directeur de l’équipement, vous avez payé cette liberté très chère en termes de carrière. Pouvez-vous en donner un exemple ?

Avec mes services, j’avais fait un rapport sur l’avenir du Valenciennois qui révéla publiquement les projets de fermeture rapide d’Usinor. À Trith-Saint-Léger, 3 000 emplois directs ont été supprimés en 3 ans. Denain a perdu 24 000 emplois directs et indirects. Un de mes économistes avait trouvé ces chiffres dans un rapport de maîtrise (donc public) de l’université de Valenciennes. La bourgeoisie valenciennoise m’en a voulu d’avoir vendu la mèche. J’ai été cambriolé deux fois, manifestement pour récupérer la lettre du directeur d’Usinor qui confirmait ma lecture… Le préfet de région m’en également voulu d’avoir publié des informations qu’il ne connaissait même pas. Pour me faire taire, on m’a offert une promotion à Lyon. Il y a des propositions qu’il faut savoir refuser.

Usinor était une entreprise publique. Avez-vous révélé un secret d’État ou avez-vous trahi votre classe sociale ?

Les deux à la fois. Ces informations circulaient parmi les cadres dirigeants. Ils étaient inconscients des conséquences sociales. Ces informations ne regardaient pas les ouvriers… et surtout leurs syndicats. C’est mon père qui m’avait appris le respect des ouvriers. Ingénieur des ponts et chaussées à l’ancienne, il discutait avec les cantonniers comme avec ses collègues. Son frère avait fait une école d’instituteur. Le respect de tous et de la vérité vient de ma famille. C’est avec l’Usic que j’ai pu cultiver ces valeurs dans ma vie professionnelle. Mon goût de la bible vient de mon curé. Lire le nouveau testament en grec est la seule chose que je puisse faire aujourd’hui. Cela me nourrit.

Propos recueillis le 23 mars 2022 par Bertrand Hériard, aumônier national

Pour aller plus loin : L’État au cœur – le meccano de la gouvernance, Pierre Calame, André Talmant, Desclée de Brouwer, 1997

NB : article non relu par l’intéressé