Olivier Martin, sociologue et statisticien, professeur à l’université Paris Cité, conduit des recherches sur la place des chiffres dans nos sociétés. Il nous propose ici un court livre, facile à lire, qui dit l’essentiel sur ce sujet qui baigne notre vie.

Après une présentation historique de la part croissante des outils pour quantifier, mesurer, comparer, l’auteur insiste sur quelques notions auxquelles nous ne faisons souvent pas attention.

Toutes les quantifications, qui ont en commun d’utiliser le chiffre comme outil de base, sont des conventions qui facilitent les relations entre les groupes humains. Elles ont souvent été mises en place par un pouvoir, politique, technique ou économique, qui a pu trouver un avantage à développer ces relations. Ces conventions structurent la société, ses modes de pensée, sa culture, en suggérant des références homogènes.

Dans bien des cas, le chiffre n’est pas simplement un descripteur neutre ; il peut servir à entraîner une réaction de la part de celui qui en prend connaissance. C’est le cas de toutes les notations. Les exemples sont nombreux de celle de l’élève par son professeur jusqu’à celle des États par les agences de notation.

Après ces rappels, Olivier Martin met le doigt sur les précautions à prendre dans l’utilisation de chiffres. Avec une apparence d’objectivité, ils donnent confiance et savent s’imposer dans le débat. Pourtant de nombreux indicateurs sont établis à partir d’observations élémentaires qui ne peuvent pas décrire la complexité de la réalité. Pour construire ces indicateurs, il faut choisir ce qu’on veut montrer, et aussi ne pas montrer. Ce choix est de nature politique. C’est pourquoi Olivier Martin appelle à (dé)chiffrer les chiffres, à prendre de la distance.

Il est normal que les pouvoirs en place diffusent leurs chiffres, à condition que leurs méthodes d’élaboration soient connues. Mais dans une démocratie, les contre-pouvoirs doivent pouvoir diffuser les leurs, pour mettre en évidence une autre part de la réalité. Ainsi notre responsabilité est engagée dans l’utilisation que nous faisons des chiffres.

Arnaud Laudenbach

Chiffre – Olivier Martin / Anamosa, 2023 – Collection « Le mot est faible » / 94 pages – 9 €