Immense joie ce lundi d’avoir pu se retrouver pour un dîner d’équipe… premier partage, tant attendu, depuis le début de l’épidémie. Celle-ci nous a frappés par surprise le 25 janvier, au moment du Nouvel An, la plus grande fête de l’année, qui jette les Chinois sur les routes pour retourner vers leurs familles, et les expatriés dans les avions pour s’échapper, si possible au soleil. Puis la Chine s’est bloquée : effroi devant la montée soudaine des infections et des morts, quarantaine de villes ou régions entières, transports à l’arrêt, masques devenus subitement obligatoires, interdiction des réunions, bureaux, malls (gigantesques centres commerciaux), écoles, cafés et restaurants fermés. Pris par surprise, en général à l’étranger, par ce « Pompéi du 21e siècle », chaque équipier s’est trouvé à gérer une situation totalement inédite. Revenir ou pas ? Seul ou en famille ? Pour trouver quelles conditions de travail ? Que faire des enfants… ?

Xavier, resté à Shanghai et dont l’épouse chinoise attend incessamment un deuxième enfant, accueillait sa belle-famille, mais aussi son beau-frère venu avec sa femme et ses trois enfants. Impossible pour eux de repartir, leur province étant fermée. L’occasion de se découvrir mais aussi de toucher du doigt ce que représentent trois générations sous un toit, quotidien de si nombreux Chinois. Alexis, cinq filles rentrées en France avec son épouse, en quarantaine chez lui pour deux semaines en célibataire forcé dans son grand appartement familial, s’est décidé à refaire les rideaux et passe ses soirées sur YouTube avant de se lancer dans les ourlets. Pauline, quatre filles et un chien à gérer, dirige une école, son mari est entrepreneur. Confrontée aux désistements de nombreuses familles, elle a dû proposer aux enseignants et à tout son personnel de réduire leur salaire, jusqu’à 70 % ; certains l’ont rappelée pour lui dire qu’elle pouvait même aller un peu plus loin, qu’ils s’étaient organisés pour avoir besoin du minimum pendant ces mois difficiles. Pendant ce temps les enfants travaillent, depuis chez eux, avec un lourd programme digital. Alexandre, enseignant au Lycée, passe de longues heures à les coacher et répondre à leurs questions.

Tous, nous sommes admiratifs devant la réponse de ce pays et le courage et la résilience de nos amis chinois. Discipline, réactivité incroyable pour trouver des solutions, courage, capacité à survivre tout simplement. L’organisation politique et le maillage de la société ont permis de mettre en place instantanément un niveau de contrôle et d’efficacité impensables chez nous : contrôles de températures systématiques à l’entrée des immeubles et de tous les lieux publiques encore ouverts ; code-barres de couleur sur votre téléphone en fonction de votre état de santé ; surveillance amicale des comités de quartier… Avec le sens pratique et la souplesse qui nous permettent de nous retrouver ce soir-là : la quarantaine s’assouplit si on s’entend bien avec les gardiens d’immeuble, dîner au restaurant devient possible si on arrive masqué et que l’on garde une distance d’un mètre entre convives, et si le restaurant ne peut vendre d’alcool on peut toujours apporter ses bouteilles… Avec le temps, on trouve un certain plaisir à cette atmosphère de Prohibition. Mais les rassemblements dominicaux restent interdits et beaucoup en souffrent.

Le père qui accompagne notre équipe nous a donné la clé pour traverser ce temps, en nous invitant à réfléchir aux chrétiens en temps de persécution et à porter dans notre prière les fidèles qui, partout dans le monde, doivent se cacher pour vivre leur foi en catimini. C’est sur ce beau chemin de carême que nous essayons d’avancer, portés par la confiance et l’affection réciproque si bien partagées dans notre petite communauté d’équipe.

Nicolas, équipier à Shanghai (le 16 mars 2020)