Entre liberté religieuse et dispositions du code du travail, le fait religieux en entreprise reste un sujet sensible. Afin d’accompagner au mieux les manageurs de proximité sur cette question, la revue Responsables y a consacré son dernier dossier thématique (février 2023), identifiant les outils et les leviers de régulation à leur disposition. Parmi les cas et expériences concrètes relatés, nous portons à votre connaissance le témoignage de Marie-Béatrice de Lassat[1]. Cet article, tiré du dossier du numéro 458 de Responsables « Accompagner les manageurs de proximité face au fait religieux au travail », vous est offert gratuitement[2].

Marie-Béatrice de Lassat, alors qu’elle était manager de l’équipe en charge des formations internes d’un assureur, a en effet fait face à des demandes d’absence pour motif religieux qui l’ont conduite à formaliser progressivement des lignes directrices. Cherchant à donner la priorité au contrat de travail tout en prenant en considération les aspirations des personnes, elle livre, pour Responsables, son cheminement managérial.

Mon entreprise organise des cursus de formation initiale de trois mois pour professionnaliser des commerciaux. Il s’agit de formations avec un nombre d’heures règlementaires pour valider leur habilitation professionnelle. Ces cursus sont dispensés dans un centre de formation dans lequel les apprenants résident toute la semaine du lundi matin au vendredi soir.

J’ai reçu plusieurs fois, indirectement via mes collaborateurs, des demandes de stagiaires de confession juive qui désiraient quitter le centre de formation dès le vendredi midi pour rejoindre leur domicile avant la nuit afin de respecter le sabbat. Ces personnes manquaient les cours du vendredi après-midi en dépit des heures légales de formations nécessaires à leur habilitation.

J’acceptais toujours ces demandes sans chercher à les discuter au nom du respect de la diversité religieuse et convaincue que cela relevait de l’intime et du sacré. En parallèle, je mettais en place des solutions de rattrapage des cours afin que ceux-ci ne soient pas pénalisés, tout en sollicitant mes collaborateurs pour les accompagner personnellement, ce qui occasionnait un surcroît de travail pour eux.

Lors d’échanges avec des entrepreneurs tunisiens sur la « gestion des demandes touchant au religieux », j’ai pris conscience qu’il était important de « désacraliser » ces demandes et de les gérer de façon objective, en positionnant d’abord les intérêts de l’entreprise et de ses collaborateurs avant les intérêts individuels. J’ai revu complètement mon positionnement managérial en m’appuyant sur quelques principes.

Tout d’abord le dialogue. Lors d’une demande de type religieux, je recevais la personne et la laissais formuler elle-même sa demande en lui demandant d’argumenter et de la justifier. Cet échange avait un double mérite. Permettre au demandeur de formuler objectivement sa demande fondée sur ses convictions religieuses. Me permettre de mieux appréhender la demande et de discerner la volonté de la personne concernée. Ces échanges me donnaient également l’occasion de mieux comprendre les fondements de sa religion.

Ensuite la responsabilisation. Toujours sur la base d’échanges, je rappelais à la personne qu’au moment de son recrutement et avant de commencer la formation, elle connaissait les conditions de l’habilitation pour exercer son futur métier. J’évoquais avec elle, la partie non négociable des obligations règlementaires de la formation et lui précisait que l’entreprise n’était pas obligée de répondre positivement aux demandes spécifiquement liées à la religion. J’en profitais pour lui demander pourquoi cette demande arrivait après la signature du contrat de travail. Enfin je demandais au stagiaire de me proposer des solutions d’aménagement compatibles avec ses obligations de formation, sachant que ces solutions ne devaient pas entraver le bon déroulement de la formation, ni désorganiser le planning au détriment de l’entreprise, des formateurs et des apprenants. Avec cet échange, je renvoyais la question à la personnes requérante, afin qu’elle soit à l’initiative des réponses et des solutions découlant de son besoin.

Enfin, la formalisation. Au moment du choix d’une des solutions proposées, je formulais un contrat, au moins moral, afin de signifier l’acceptation de la demande conjuguée à une contrepartie proposée par la personne : accord de ma part sur la demande d’aménagement d’horaires de formation et engagement du demandeur à récupérer le cours. Par exemple, travail le week-end, e-learning…

Ce repositionnement managérial m’a permis de comprendre qu’auparavant, je prenais en charge seule la demande fondée sur des convictions religieuses, sans recul ni discernement. Ce changement de regard m’a fait comprendre que face à ces demandes, il faut toujours évoquer en premier lieu le contrat de travail et les intérêts de l’entreprise ; ce qui n’empêche pas de répondre favorablement ou non aux demandes. À la suite de cet ajustement, j’ai vécu assez peu de cas conflictuels. Mon entreprise a, depuis, créé une équipe « diversité » à laquelle peuvent désormais se référer les managers.

Marie-Béatrice de Lassat

[1] Marie-Béatrice de Lassat est aujourd’hui responsable marketing chez un assureur leader français de son secteur. Elle est titulaire d’un master 2 de droit international public.

[2]  Pour bénéficier de la lecture de Responsables, la revue du Mouvement qui fait le lien entre ses équipiers et vous aide à alimenter la rencontre mensuelle de votre équipe, il faut vous abonner (30 € les 4 numéros/an). Toutes les informations sont en ligne