Cette guerre déclenchée par Vladimir Poutine dans le seul but de réintégrer l’Ukraine dans l’empire russe a, dans un premier temps, soudé les 27 États membres dans un même réflexe de défense et de solidarité. Tous les pays ont accepté des réfugiés ukrainiens, ont envoyé des aides humanitaires et même, pour beaucoup, des armes, et, surtout, ont voté les sanctions décidées par la Commission. Même si la Hongrie de Viktor Orban traîne les pieds, refuse de laisser passer des armes par son territoire et continue d’importer du gaz et du pétrole russes « afin de ne pas pénaliser les citoyens hongrois ».

Dans le même temps, les 27 prenaient conscience de la menace que Poutine faisait peser sur les anciens satellites de l’Union soviétique et décidaient de revoir à la hausse leur politique de défense, notamment les pays scandinaves : la Suède et la Finlande demandaient leur adhésion à l’OTAN et le Danemark mettait fin à son désintérêt pour les questions militaires. L’Allemagne décidait parallèlement de renforcer considérablement son budget de la défense pour le porter rapidement à 2 % du PIB.

Cette belle unanimité risque toutefois de se heurter au mur des réalités et de se déliter à mesure que les rigueurs de l’hiver approchent. L’Allemagne réalise soudain que sa dépendance au gaz russe est une terrible menace pour son industrie. La Suède et l’Italie viennent de porter au pouvoir des formations politiques pour lesquelles la solidarité européenne n’est pas la première priorité. En France, les extrêmes politiques se rejoignent pour contester les décisions européennes au prétexte qu’elles pénalisent les consommateurs – la même rhétorique que celle d’Orban. Comme chaque fois que les difficultés apparaissent, le chacun pour soi refait surface. Olaf Scholz se tourne seul vers le client chinois, « oubliant » d’associer ou même de consulter ses partenaires européens. Les beaux projets de défense européenne sont mis en sourdine en attendant des jours meilleurs, et les armées privilégient le matériel américain qui fait merveille sur le champ de bataille ukrainien. En matière énergétique, chacun reprend sa partition solo et rouvre ses centrales à charbon, négocie seul des contrats d’approvisionnement énergétique, oubliant les objectifs environnementaux et mettant un coup d’arrêt à l’émergence laborieuse d’une politique énergétique commune.

Si les Européens n’y prennent garde, Poutine pourrait bien ainsi réaliser son objectif prioritaire : affaiblir l’Union européenne, saper son unité et la pousser à remettre son destin entre les mains d’une Amérique dont il espère bien que le retour de Trump en 2024 changera l’orientation géopolitique, lâchera l’Ukraine et lui permettra enfin de gagner cette guerre si mal engagée. L’on voit ainsi que l’égoïsme et le chacun pour soi, autrement dit le retour à « l’Europe des nations », sont un piège mortel tendu à l’Union par le tsar de Moscou. Il est très urgent que les Européens réalisent qu’ils ne pourront résister à ce défi redoutable qu’unis au sein d’une union renforcée, fondée sur les valeurs d’origine de l’Union qui font si peur à Poutine : démocratie, solidarité, Etat de droit, liberté… toutes ces valeurs pour lesquelles les Ukrainiens veulent entrer dans L’Union et payent le prix fort.

Claude Bardot, ancien co-responsable du secteur Nord des Hauts-de-Seine, secrétaire général de la section des Hauts-de-Seine du Mouvement européen