Faire les bons choix en situation professionnelle se révèle complexe. En quoi le recours au discernement nous permet-il de limiter les écueils inhérents à la prise de décision ? Bernard Bougon[1], psychosociologue et consultant de l’Institut de discernement professionnel, dévoile à l’avance quelques pistes de son livre, Apprendre à choisir, à paraître chez Dunod cet automne.

Décider c’est retenir une option parmi toutes celles qui s’offrent à nous ou encore, choisir une ligne de conduite au détriment d’autres. Quoi qu’il en soit de la taille de notre entreprise, de notre secteur d’activité ou de notre niveau hiérarchique bien souvent la complexité des enjeux comme des situations nous étreint, aussi opérer ces choix rencontre nos hésitations.

Des études américaines[2] cherchent à expliquer l’échec de bien des décisions stratégiques prises par des dirigeants. Au-delà des raisons liées aux facteurs personnels (erreurs de jugements ou d’appréciations, passions, opportunisme, jeux politiques, etc.) comme aux facteurs culturels et à la complexité (globalisation, évolution rapide de l’environnement, approches contradictoires, etc.), elles notent l’entrée de ces dirigeants dans des pièges de la décision. Ces pièges ont comme base commune notre propension à adhérer, à coller à nos propres décisions.

 

Pièges à éviter

Nous en dénombrons trois principaux. Avec l’effet de gel nous retiendrons, sans autre examen, la première option qui nous paraîtra satisfaisante. Dans son prolongement s’ouvre le piège abscons tandis que nous nous engageons dans une « dépense » où, de bonne foi, l’atteinte du but paraît certaine. Souvent ce n’est pas le cas. Aussi nous entrons dans une spirale d’efforts de plus en plus coûteux pour atteindre un but qui échappe toujours… Plus subtil, avec le piège du sentiment de liberté nous acceptons généreusement des contraintes personnelles qui, prolongées, nous mettrons sur la pente du burn out.

Aussi la tentation est grande de se rassurer en se reposant sur des outils d’aide à la décision, avec le secret espoir de nous décharger du risque inhérent à tout choix et de mettre nos décisions à l’abri de l’erreur. Ce serait oublier la mise en garde de l’épistémologue Jean Ladrière : « La science et la technologie ont bien un sens en elles-mêmes, en tant qu’elles sont sous-tendues par des valeurs spécifiques, mais leur essence les rend incapables de fournir un ancrage à l’existence, (…). Et par ailleurs elles ne connaissent et ne proposent d’autres finalités que leur propre croissance indéfinie… »[3]. Selon les études américaines précitées, la majeure partie de ces ratés serait la conséquence d’une confusion entretenue entre les notions d’objectifs, de buts et de finalités. Distinctions essentielles pour mener à bien tout discernement.

 

 

Identifier la finalité

Il n’est pas d’échappatoire. Nous devons apprendre à décider dans la complexité et à en accepter les risques. Cela passe par une claire appréhension de nos finalités – celles de nos organisations comme les nôtres propres – afin de donner cohérence et sens à nos projets d’entrepreneurs. Exprimer nos aspirations et notre finalité fait advenir une intention qui devient ainsi le principal critère de discernement. En quelque sorte, le « Nord » de notre boussole personnelle qui nous permet de déterminer quelle option sera la plus en ligne avec nos finalités personnelles et collectives.

Cette pratique du discernement, telle que nous l’entendons, veut mettre à la disposition de chacun une pratique et une expérience du choix et de la décision portées par la culture judéo-chrétienne et mise en forme par St Ignace de Loyola dans ses Exercices spirituels. Le discernement selon la finalité a ses rigueurs, il suppose d’en faire l’apprentissage, ce que nos ouvrages proposent.

Cette pratique du discernement peut s’avérer précieuse à l’occasion de la pandémie qui frappe notre monde de 2020. Obligés de restreindre nos mouvements et nos actions nous sommes incités à nous demander ce qui est véritablement essentiel dans toutes nos activités. À partir de ces premières réponses, en reprenant une question chère au MCC, n’est-ce pas le moment de nous demander à nouveaux frais « comment vivre et travailler autrement » ? Non seulement personnellement, mais ensemble, à la lumière, par exemple, de l’encyclique Laudato si’ du pape François.

Bernard Bougon s.j.


[1] Jésuite, il est aumônier d’équipe à Lille et ancien aumônier national du MCC. Avec Laurent Falque, il est coauteur de nombreux ouvrages, parmi lesquels L’art de choisir avec Ignace de Loyola (Ed. Fidélité, 2018) et Discerner pour décider (Dunod, 2014).

[2] S. Filkenstein Quand les grands patrons se plantent, Ed. d’Organisation, 2004 ; P. C.Nutt, Why decisions fail ?, San Francisco, Berrett-Koehler, 2002.

[3] J. Ladrière, Les enjeux de la rationalité. Le défi de la science et de la technologie aux cultures, Aubier-Montaigne, UNESCO 1977.