Les contraintes que font peser sur les entreprises la mondialisation, la loi des marchés, les évaluations financières de très court terme, la segmentation internationale de la chaîne de valeur, les délocalisations… sont-elles solubles dans la transition écologique ? Question ardue qui est aussi celle du lien entre entreprises et territoire. Un éclairage avec Mireille Viora[1], spécialiste des sujets de transition et d’aménagement du territoire.

Fortement marquée par les délocalisations, l’industrie a connu ces deux dernières années, malgré les fermetures, un « rebond » en termes de nombre de sites et d’emplois en France. Le pays continue d’attirer beaucoup d’investissements internationaux du fait des qualités structurelles de son territoire : infrastructures performantes, niveau de formation et de compétences élevé, marchés de consommation matures… qui sont autant de « fondamentaux » pour la localisation des entreprises.

 

Un ancrage « intermittent »

Peut-on parler pour autant d’un mouvement de « relocalisation » ? Un exemple, le groupe Archer a décidé de faire revenir sur le territoire historique de Romans-sur-Isère la confection de chaussures qui avait été délocalisée à la suite de la crise de 2008. Les ateliers se sont concentrés sur la confection haut-de-gamme et le design, tout en valorisant le savoir-faire industriel et en s’appuyant sur les atouts du territoire. Tout ceci repose sur une optimisation de la chaîne de valeur, un « ancrage intermittent » : à Romans, seule une partie de la chaîne de production a été ré-implantée, à la faveur d’outils numériques innovants. Le choix de produire localement peut aussi être lié à la valorisation de l’identité territoriale, avec un produit chargé d’une histoire unique et d’une culture spécifique, on parle alors « d’économie patrimoniale ».

Les modèles de production évoluent sous l’effet des attentes des consommateurs et des salariés – qui sont souvent les mêmes. Il existe une réflexion nouvelle sur les coûts « réels » qui font évoluer les modèles économiques et redonnent progressivement de l’importance à la proximité : si on impute par exemple au transport ses coûts cachés, sociaux, économiques, environnementaux, humains, ou « externalités négatives », le coût réel est sans commune mesure avec le prix effectivement payé pour le fret marchandise. Le choix de circuits courts va dans le même sens.

 

Le territoire comme ressource

La production de valeur ajoutée par l’entreprise résulte de la mise en œuvre de facteurs de production capitalistiques et humains. Elle s’appuie donc sur une valorisation des aménités offertes par le territoire, des infrastructures physiques ou numériques à la main-d’œuvre présente sur le bassin d’emploi, en passant par l’existence localement de réseaux de services aux entreprises. Selon un modèle « d’écosystème », les entreprises se regroupent pour bénéficier de la co-présence de leurs fournisseurs, sous-traitants, concurrents éventuels, ainsi que d’un bassin d’emploi et de formation appuyé sur une filière. Les « ressources » du territoire constituent une ressource matérielle ou immatérielle – et il est de l’intérêt bien compris des entreprises de se préoccuper aussi de la pérennité de ces ressources, naturelles ou physiques.

 

Vers une responsabilité territoriale de l’entreprise ?

Il existe un consensus pour reconnaître les « externalités positives » apportées par le territoire, élément essentiel depuis toujours dans la stratégie de localisation des entreprises. En parallèle de la réflexion sur la « raison d’être » de l’entreprise (instituée par la loi Pacte), certaines font le choix d’aller au-delà de leurs obligations en matière de RSE, en choisissant d’investir sur le territoire et de placer leur « ancrage » au cœur de leur stratégie (par exemple l’ancrage dans le Tarn pour le groupe de cosmétique Pierre Favre). Ce thème de la « responsabilité territoriale » devient aussi une préoccupation au sein des organisations professionnelles, et des indicateurs permettant aux entreprises de procéder à une auto-évaluation de leur ancrage territorial ont été mis au point. Au-delà de ses ressources, la qualité propre du lien tissé avec le territoire, qui représente un capital immatériel utile à la pérennité de l’entreprise et à son fonctionnement, permettra de transformer cette dynamique en « bien commun » utile à tous.

 

Mireille Viora


[1] Auparavant cadre dirigeante dans les secteurs des transports et de l’aménagement, elle est l’auteur d’une enquête publiée en 2019 sur le lien entre entreprises et territoires Au sein du MCC, elle pilote le projet intitulé « Le travail après Laudato si’ » (GT Transition).