Comprendre notre société et agir afin d’assurer un futur meilleur pour tous. Tel est l’ambitieux objectif du Panel international sur le progrès social (PIPS) puis du rapport[1] et du Manifeste pour le progrès social[2] qui en ont découlé. L’un de ses coordinateurs, Marc Fleurbaey, économiste à Princeton, était l’invité du MCC en janvier au Centre Sèvres. Interview à l’occasion de cette soirée.

Le PIPS, véritable GIEC social

Initiative de 300 chercheurs en sciences sociales issus de 40 pays, le Panel international sur le progrès social (PIPS) s’est inspiré du mode de fonctionnement du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC). Dans une vision inclusive, il s’est fondé sur des valeurs consensuelles, telle l’égale dignité de tous les êtres humains. L’université de Princeton, la fondation Maison des Sciences de l’homme ainsi qu’un institut de recherche suédois en ont été les partenaires scientifiques et financiers principaux.

Vous dressez un constat sans concession de notre société qui ne parvient pas à articuler croissance économique et développement humain. Comment résumeriez-vous votre message principal ?

Le siècle passé a vu d’extraordinaires progrès dans un grand nombre de domaines sur presque toute la surface du globe, avec une réduction de la pauvreté, la hausse du taux d’éducation, la baisse de la mortalité infantile, la croissance de la démocratie. Mais dans le même temps, certains pays ne décollent pas et les inégalités ont explosé au sein de beaucoup d’entre eux. De grands dangers liés à la crise sociale et environnementale nous menacent et nous placent devant un abîme : ils mettent en péril les réalisations de l’humanité et sa survie. Notre rapport est né de cette angoisse. Nous sommes cependant convaincus que nous pouvons faire beaucoup mieux et assurer un meilleur bien-être pour le plus grand nombre.

Que proposez-vous ?

Il est possible d’éradiquer la pauvreté tout en préservant l’environnement et en assurant la démocratisation des décisions économiques qui déterminent le sort des personnes

Nous pouvons faire progresser la condition humaine presque partout dans le monde en améliorant les institutions dans le sens d’une plus grande participation, afin de donner la possibilité aux gens d’être acteurs de leur vie et de participer aux décisions qui les concernent. Que chacun là où il est utilise ses marges de manœuvre. Notre rapport explore une mine d’idées de réformes et d’actions possibles autour de trois principes : équité, durabilité, liberté. Il est possible d’éradiquer la pauvreté tout en préservant l’environnement et en assurant la démocratisation des décisions économiques et politiques qui déterminent le sort des personnes.

Sur quels acteurs comptez-vous vous appuyer ?

Nous ne sommes plus dans le contexte idéologique du XXe siècle. L’acteur prometteur qui émerge de nos travaux est la société civile, avec les citoyens et les communautés sur les réseaux sociaux, les ONG et les entreprises. Ce sont eux qui, sur le long terme, produisent le changement et moins les politiciens dont l’horizon est court et les contraintes très fortes. Les initiatives, la pression, viennent désormais de la base. Pour accroître sa capacité d’influence, la société civile doit s’organiser au niveau international, là où les grandes entreprises transnationales et les États eux-mêmes agissent. La démocratisation et l’approfondissement de la participation s’opposent toutefois aux intérêts en place, dans l’économie et la politique. Autant je suis optimiste sur notre capacité à faire face aux dangers de notre époque, autant il faut être prudent voire pessimiste sur la probabilité d’y arriver. Les événements graves ne sont pas à exclure.

L’entreprise est, selon vous, parmi les institutions les moins démocratiques…

C’est l’une des institutions oubliées du débat idéologique. Elle est pourtant le cœur, la bataille centrale de la décennie à venir. On peut promouvoir une entreprise juste. Le modèle nuisible de l’entreprise est celui qui rejette sur la société les coûts externes considérables d’une gestion irresponsable de la main-d’œuvre et des ressources naturelles. Il faut sortir de ce modèle néfaste et elle pourra devenir un facteur de progrès et d’épanouissement pour les salariés. L’entreprise rêvée est celle où on cherche à maximiser la valeur pour les différentes parties prenantes.

Comment y parvenir ?

Nous voulons briser le mythe de l’entreprise appartenant à ses actionnaires. L’idée selon laquelle les gestionnaires doivent d’abord créer de la valeur pour les actionnaires a renforcé les inégalités et freiné l’innovation. Elle s’est traduite par une stagnation des salaires et une dégradation des conditions de travail dans la plupart des pays développés. Nous proposons d’encourager les entreprises à mission et les diverses structures juridiques (coopératives, co-détermination…) dans lesquelles sont intégrées les différentes parties prenantes et leurs intérêts. La législation doit changer dans ce sens, mais chacun d’entre nous, créateur d’entreprise, cadre, salarié, syndicaliste, consommateur, épargnant et investisseur, peut aussi contribuer, avec les moyens d’action à sa disposition, à promouvoir ces modèles d’entreprises qui portent le progrès social.

Propos de Marc Fleurbaey recueillis par Marie-Hélène Massuelle

 


Biographie

  • 2019 : Publie Manifeste pour le progrès social. Une meilleure société est possible, La Découverte
  • 2018 : L’IPSP remet son rapport Repenser la société pour le XXIe siècle
  • 2014 : Co-fondateur du Panel international sur le progrès social (PIPS)
  • 2014 : Participe au 5e rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur le changement climatique (GIEC)
  • 2011 : Professeur d’économie à Princeton

[1] Rapport du Panel international sur le progrès social (PIPS) : www.ipsp.org/fr

[2] Manifeste pour le progrès social – Une meilleure société est possible, Marc Fleurbaey & al., La Découverte, 2019, 288 pages, 16 €