Nous nous sommes gavés de connexions et nous avons perdu le goût de la fraternité

« Une tragédie mondiale comme la pandémie de Covid-19 a réveillé un moment la conscience que nous constituons une communauté mondiale qui navigue dans le même bateau, où le mal de l’un porte préjudice à tout le monde. Nous nous sommes rappelés que personne ne se sauve tout seul, qu’il n’est possible de se sauver qu’ensemble. C’est pourquoi j’ai affirmé que « la tempête démasque notre vulnérabilité et révèle ces sécurités, fausses et superflues, avec lesquelles nous avons construit nos agendas, nos projets, nos habitudes et priorités. […] À la faveur de la tempête, est tombé le maquillage des stéréotypes avec lequel nous cachions nos ego toujours préoccupés de leur image ; et reste manifeste, encore une fois, cette [heureuse] appartenance commune […], à laquelle nous ne pouvons pas nous soustraire : le fait d’être frères31».

Le monde a inexorablement progressé vers une économie qui, en se servant des progrès technologiques, a essayé de réduire les ‘‘coûts humains’’, et certains ont prétendu nous faire croire que le libre marché suffisait à tout garantir. Mais le coup dur et inattendu de cette pandémie hors de contrôle a forcé à penser aux êtres humains, à tous, plutôt qu’aux bénéfices de certains. Aujourd’hui, nous pouvons reconnaître que « nous nous sommes nourris de rêves de splendeur et de grandeur, et nous avons fini par manger distraction, fermeture et solitude. Nous nous sommes gavés de connexions et nous avons perdu le goût de la fraternité. Nous avons cherché le résultat rapide et sûr, et nous nous retrouvons opprimés par l’impatience et l’anxiété. Prisonniers de la virtualité, nous avons perdu le goût et la saveur du réel32». La douleur, l’incertitude, la peur et la conscience des limites de chacun, que la pandémie a suscitées, appellent à repenser nos modes de vie, nos relations, l’organisation de nos sociétés et surtout le sens de notre existence. » (Ft 32-33)

Ainsi parle le pape François au début de Fratelli tutti. Comme toutes les encycliques, cette dernière nous aide à comprendre le contexte, discerner les signes d’espérance et agir pour le bien commun, là où nous sommes, dans le monde professionnel ou associatif. Les questions du paragraphe 197 invitent à mesurer la fécondité d’une décision politique : nous les avons adaptées pour éclairer nos situations de travail (en italique dans le texte ci-dessous) et mieux comprendre le ‘passage’ que le pape nous propose.

Comprendre

La crise sanitaire accélère le passage d’un capitalisme de biens à un capitalisme de plate-forme (Ft 45). Les chaînes de valeur se sont mondialisées au profit d’une minorité. En l’absence de régulations adéquates, les relations sociales se sont tendues. Dans la crise, les inégalités (Ft 21) se sont creusées. Les pauvres sont à nouveau marginalisés alors même que leur accès aux « communs » (Ft 189) comme l’eau potable, la terre ou la santé sont menacées. Les classes moyennes, dont la prospérité est un facteur de stabilité politique, ont quant à elles, vu leurs revenus stagner, voire régresser.

– Quel amour est-ce que je mets dans le travail ?

– Quels liens réels ai-je construits, quelles forces positives ai-je libérées, quelle paix sociale ai-je semée, qu’ai-je réalisé au poste qui m’a été confié ? 

– Que peut recouvrir/signifier la notion de « fraternité » en entreprise, dans les relations de travail ?

– Comment je comprends le terme « amitié sociale» (FT 99)?

Espérer

Le Covid 19 a fait basculer la société dans l’économie numérique et a amplifié une transformation fondamentale du travail. Le télétravail, qui s’est imposé chez beaucoup de salariès, a permis la continuité des activités et des économies de transport, même s’il montre aussi ses limites. Les travailleurs essentiels ont été protégés mais sont toujours aussi peu reconnus en termes salariaux. Le travail précaire ou informel (Ft 169) progresse partout dans le monde et même en France.

Pourtant des entreprises se mobilisent pour lutter contre les inégalités et sauver la planète. En France, la loi Pacte permet aux entreprises de formuler leur raison d’être et d’adopter le statut d’entreprise à mission, donnant ainsi un sens profond au travail de tous les salariés. Mais la crise économique montre que le chemin est étroit.

– Qu’est-ce que je pense de la politique RSE de mon entreprise ? (gestion des ressources, solutions « open sources ») De quelle façon prend-elle en compte les enjeux et conséquences sociales et environnementales de son activité ?

– Mon entreprise a-t-elle réfléchi sur sa raison d’être ? Si oui, quelle est-elle ?

– En quoi mon entreprise participe au bien commun ? Quelle est sa contribution aux grands défis sociétaux ?

– Pour reprendre les mots du pape François, en quoi puis-je faire progresser le peuple ? (Ft 197).

Agir

Les jeunes générations sont particulièrement sensibles aux questions écologiques et sociales. Certains choisissent des activités qui font sens au regard de ces enjeux. Des collectifs se forment pour créer de nouvelles solidarités, dans l’entreprise ou avec les autres parties prenantes.

– Comment promouvoir le don et la gratuité dans nos entreprises ?

– A quel dialogue social je participe dans la société (Ft199 à 202) ? Quelles sont les initiatives que je peux envisager à mon niveau ?

– Quelle marque veux-je laisser dans la vie de la société ?

Pour aller plus loin

La parabole du bon samaritain (Lc10, 25-37) est longuement commentée par Fratelli Tutti (56-86)

Dossier « Générations au travail, questions de sens », in Responsables 447, Printemps 2020.

Rapport de l’OIT sur le travail informel.

Rapport du Secours catholique sur la pauvreté en France.

Accord interprofessionnel sur le télétravail

Fanny Lederlin, « Télétravail, un travail à distance du monde », in Etudes N°4276, Novembre 2020 

Destination universelle des biens : https://www.mcc.asso.fr/chretiens-en-actes-vivons-la-destination-universelle-des-biens/