Nous avons été « poussés au large » par le propos d’Elena Lasida, professeure d’économie à l’Institut catholique de Paris et intervenante à la table ronde du samedi matin au Congrès de Nantes qui l’a fait débattre avec Véronique Fayet, ancienne présidente du Secours catholique-Caritas France, et Jean-Claude Larrieu, directeur des Risques, des audits, de la sécurité et de la sûreté de la SNCF. Sa parole d’experte a « dessiné des passages » et nous a embarqués dans l’Économie sociale et solidaire (ESS).

Elena a d’emblée appuyé son exposé sur la conviction, fortement affirmée par le pape, que la vie est relation. Ainsi la relation n’est pas une dimension, parmi d’autres, de la vie, elle est la vie. « Je pense que cela nous donne des clefs pour penser le travail. Si nous voulons que le travail ne soit pas un instrument de torture mais source de vie, il nous faut penser le travail avant tout dans sa dimension relationnelle. »

Trois points marquants de Laudato si’ (LS)

Tout est lié… un lien au-delà du contrat

En première analyse, le travail donne une identité sociale à la personne. Il lui permet d’exister dans la société et génère ainsi du lien. Mais ce que dit LS est plus profond et fondamental. C’est une invitation à regarder et évaluer le travail par la qualité relationnelle qu’il produit et non seulement par le résultat final qu’il génère. Nous sommes interdépendants.

Tout est donné… vers une relation d’alliance

Le travail est souvent pensé en termes d’emploi et de rémunération. Dans cette relation contractuelle coexiste une relation de don et de gratuité qui s’inscrit dans une réciprocité, qui dépasse le contrat et se rapproche d’une relation d’alliance. Celle-ci appelle celui qui reçoit à devenir lui-même donateur.

Tout est fragile…  appel à l’innovation

La fragilité est un terme transversal de LS. Face aux fragilités, il ne s’agit pas de réparer pour revenir à ce qui était premier, mais bien de saisir l’opportunité de faire du neuf. Elena nous invite à regarder le travail comme un lieu qui permet de déployer et d’exprimer cette capacité créatrice de l’humain et de faire la différence entre fabrication et création ; la capacité à faire émerger de l’inattendu et de l’inconnu.

Envisager le travail comme relation

Pour cela, elle recommande de penser :

– interdépendance plutôt que production,
– relation d’alliance plutôt que relation contractuelle,
– création plutôt qu’uniquement fabrication.

Articuler la vision du travail relation avec une logique de rentabilité

La question de la richesse relationnelle est une préoccupation fondamentale de l’ESS qui crée aussi de la richesse financière et est confrontée, comme tout autre acteur de l’économie, à une réelle concurrence. Ce secteur a des propositions intéressantes à faire. De l’échelle de salaires resserrée de 1 à 7 à la redistribution des bénéfices en passant par les modes de gouvernance participatifs, l’ESS est en recherche pour articuler rentabilité relationnelle et financière.

Créer et évaluer la richesse relationnelle

Il y a en ce moment beaucoup de recherches sur l’évaluation de l’utilité sociale et sur la différence entre utilité sociale et impact social. L’évaluation de la richesse relationnelle est souvent considérée en termes d’utilité sociale en mesurant uniquement le résultat du travail réalisé alors que l’impact social considère en plus la qualité des relations au sein des équipes qui ont obtenu ces résultats : dans une entreprise favorisant le logement, l’utilité sociale serait mesurée par le nombre de personnes relogées tandis que l’impact social tiendrait compte également de l’évolution de la qualité relationnelle.

Idéalisation du travail dans l’ESS ?

Interrogée par Jérôme Chapuis, directeur de la rédaction du journal La Croix et animateur du débat, sur le risque d’idéaliser le travail dans l’ESS, Elena Lasida a d’abord souligné que beaucoup de jeunes se tournent vers ce secteur. « Ces jeunes veulent changer le monde et c’est génial ! », s’est-elle exclamée. Il y a beaucoup d’idéalisme, de recherche de sens et de cohérence. Cela rend encore plus douloureux les tensions et les conflits quand ils apparaissent. Ils peuvent alors avoir pour conséquences de véritables drames personnels. C’est tout le sens de l’engagement dans leur vie qui est alors remis en cause.

Propos recueillis par Sabine et Emmanuel Bommier, équipiers à Clermont-Ferrand

Le podcast de la table ronde est disponible sur le site Passeurs d’avenir

De gauche à droite : Jean-Claude Larrieu, Elena Lasida, Jérôme Chapuis, Véronique Fayet – © Sylvain Hennebel