Pierre Rosanvallon, historien, sociologue, ancien militant de la CFDT, et intervenant par le passé devant les équipiers du MCC, propose une lecture originale de la société française et de ses contradictions apparentes, à partir du prisme des épreuves de la vie. Non pas celles qui viennent des accidents de santé ou de la famille, mais celles qui mettent en cause les relations entre l’individu et son environnement social.

L’auteur passe en revue quatre types d’épreuves qui entraînent toutes des réactions affectives, souvent fortes, pouvant se traduire de façon violente : l’épreuve du mépris, celle de l’injustice, celle de la discrimination et celle de l’incertitude. Dans chacune d’entre elles, la personne qui subit se sent bousculée dans son moi profond, non reconnue dans sa singularité.

Il montre bien qu’on est là dans un registre très différent de celui des luttes sociales ou politiques, dans lesquelles tout un groupe se sent soudé et tendu vers un objectif à atteindre. Ainsi, se sentir victime d’une injustice est très différent de se révolter contre les inégalités.

À partir de ce point de vue, Rosanvallon relit de nombreux phénomènes sociaux contemporains, celui des Gilets jaunes, le mouvement Me too et d’autres. Ce qui unit leurs participants, c’est le ressentiment plus que le projet, c’est le refus d’être noyé dans la masse, d’être un numéro.

Le quatrième type d’épreuve, l’incertitude, ouvre sur un champ plus large. Pour chaque individu, c’est le risque du déclassement ou de la précarité, rendu plus prégnant par les transformations économiques. Mais on retrouve la dimension collective avec ce que Rosanvallon nomme les menaces d’humanité, les menaces que l’humanité subit dans l’anxiété.

Puisque le sentiment a pris une place si importante dans les comportements sociopolitiques, place que les populismes de droite ou de gauche ont bien compris, ce n’est pas en le niant que la démocratie pourra se renouveler, ni en s’arc-boutant aux seuls principes de la raison et du chiffre. C’est notre conception de l’égalité qui doit être repensée, en « valorisant la singularité de chacun ».

Parce que le livre veut aussi ouvrir de nouvelles méthodes de travail sociologique, il donne la parole à quatre autres voix, qui chacune rebondit à partir de l’un des thèmes du livre, créant ainsi une dynamique de pensée originale.

Arnaud Laudenbach

Les épreuves de la vie – Comprendre autrement les Français / Pierre Rosanvallon / Le Seuil / 2021/ 212 pages / 19 €