Quoi de plus crucial que l’éducation ? Parce que l’avenir et la cohésion de notre société en dépendent, Apprentis d’Auteuil agit auprès de jeunes et de familles, parmi les plus vulnérables et fragilisés. Nicolas Truelle, son directeur général, était l’un des invités de la table ronde organisée par le MCC à Marseille. Il nous confie sa croyance profonde en l’alliance éducative qui permet de redonner de l’espérance face à des situations où tout semble perdu.

Apprentis d’Auteuil est une fondation catholique (sous tutelle des Spiritains), reconnue d’utilité publique. Nos 6 500 professionnels de l’éducation et plus de 2 000 bénévoles réguliers accompagnent chaque année 30 000 jeunes et 6 000 familles dans près de 250 établissements. Accueillir, éduquer, former, insérer, des enfants et des jeunes au travers de maisons d’enfants à caractère social (MECS), d’écoles, de collèges, de lycées professionnels, de centres de formation d’apprentis ou de formation continue, de foyers de jeunes travailleurs, et soutenir les familles au travers de crèches et de Maisons des Familles, voilà nos missions.

Pour une alliance éducative fructueuse

Les enfants, les jeunes et les familles accompagnés par Apprentis d’Auteuil sont souvent confrontés à un ensemble de difficultés, qu’elles soient familiales, de santé, d’apprentissage, ou de comportement le plus souvent dans des situations de grande précarité. Ces difficultés qui peuvent s’accumuler conduisent souvent à l’exclusion. Ces familles et ces jeunes basculent alors vers des situations de décrochage scolaire, d’errance, d’isolement social… Ils se marginalisent. Dans les cas les plus difficiles, la violence s’ajoute aussi à la souffrance et vient alors renforcer les difficultés rencontrées.

À mes débuts à Apprentis d’Auteuil, j’ai parfois pensé rencontrant un jeune : « c’est fichu, personne ne voudra de lui ». Face aux faits de maltraitance, à une montagne de difficultés, aux comportements violents et au sentiment d’impuissance que cela entraîne, comment accompagner ces jeunes et ces familles pour qu’ils trouvent leur place dans la société et retrouvent confiance dans leur pouvoir d’agir ? Les éducateurs, les enseignants, les formateurs d’Apprentis d’Auteuil m’ont appris qu’aucune situation n’est irrémédiable.

J’ai vu que l’espérance naît d’une molécule de fraternité composée de deux atomes : un adulte et un jeune. C’est bien la confiance que nous plaçons dans les jeunes et la confiance que les jeunes accordent aux adultes, qui sauvent l’avenir. Cette confiance du jeune vers l’adulte est le véritable miracle, car avec leur parcours de vie, ces jeunes, en toute logique, ne devraient plus faire confiance aux adultes ! Et pourtant ils osent et quand l’enfant, le jeune, décide de saisir la main tendue, une alliance se noue.

Elle implique l’enfant, et à travers lui sa famille, l’éducateur, et toute la communauté éducative qui l’entoure. C’est un point très important. On dit bien : « il faut tout un village pour éduquer un enfant ». Il faut, en effet, toute une alliance éducative pour croiser indéfiniment les regards et pour sortir du stéréotype construit autour de l’enfant. Pour nous, l’alliance avec la famille, lorsqu’elle est encore possible, est indispensable. Il faut préserver les liens d’attachement existant entre les familles et les jeunes. Dans la majorité des cas, la première motivation de l’enfant est de rendre ses parents fiers de lui.

Trait ignatien, je considère la relecture comme une nécessité permanente. L’éducation est une science d’observation et d’interprétation pour l’action. Dans un système d’alliance, les groupes d’analyse de pratiques, la supervision, les communautés de pratiques et de savoir sont la partie visible de cet effort permanent de lecture et de relecture.

La menace la plus forte pour l’espérance, c’est de penser qu’on ne peut plus changer, et que l’autre ne peut pas changer. Je garde en mémoire cette parole de mon amie Magda Hollander-Lafon, survivante d’Auschwitz-Birkenau, qui m’a un jour dit « Nicolas, tu es un être en devenir jusqu’à la dernière seconde, moi Magda, je suis en devenir jusqu’à la dernière seconde ». C’est cela l’espérance !

Enseignements pour la vie dans l’entreprise

J’ai découvert qu’il existe un vrai parallèle entre management et éducation. On ne compte plus les entreprises qui disent vouloir mettre l’humain au centre. C‘est une bonne chose, mais qu’est-ce que cela implique exactement ?

Le champ éducatif est riche d’expériences et de pratiques qui éclairent le monde de l’entreprise parce qu’il éclaire le champ des relations humaines. Univers de collaboration, de coopération, d’épanouissement : le monde éducatif nous informe sur des dynamiques qui se retrouvent dans les relations managériales et dont l’entreprise pourrait s’inspirer.

Evidemment, les fossés qui séparent les mondes de l’entreprise et de l’action sociale, de l’entreprise et de l’école existent. L’espérance se situe sur les ponts qui se construisent entre ces mondes et à travers ceux qui œuvrent à les bâtir. Depuis 2015, nous créons ainsi avec des entreprises des parcours de formation pour des jeunes qui ne sont ni en emploi, ni en formation, sur des métiers en tension. La mobilisation de l’entreprise est, à chaque fois, exceptionnelle. Dans ces expériences, qui est le plus gagnant ? L’entreprise qui apporte savoir-faire et emploi, Apprentis d’Auteuil qui apporte l’éducation aux savoir-être ou les jeunes qui apportent à tous le sens dont nous avons tant besoin ?

Nicolas Truelle

Cet article a été publié dans le n° 454 de Responsables « À Marseille embarqués dans l’espérance » (hiver 2022).

Nicolas Truelle

1983 : diplômé de l’école Polytechnique

1985 : mariage d’où naîtront 7 enfants

1992 : directeur d’usine, Groupe Sanofi

2000 : DG délégué d’une PME de location de poids lourds

2010 : associé chez Weinberg Capital Partners

Depuis 2015 : directeur général Apprentis d’Auteuil