Pierre-Yves Gomez est un économiste non-conventionnel, chrétien, enseignant à l’École de Management de Lyon. Il a écrit plusieurs ouvrages sur les croyances ou les concepts sur lesquels se bâtissent les organisations politiques ou économiques. Dans ce livre décapant, il déroule le fil de ce que la pensée néolibérale déploie et prépare pour notre monde.

Il montre de façon convaincante la rupture qui s’est opérée dans les années 70, entre le capitalisme accumulatif qui fondait sa légitimité sur les richesses déjà créées pour aller plus loin, et le capitalisme spéculatif qui, lui, fonde toute sa dynamique sur un Avenir forcément mirifique, qui permettra de gommer toutes les dettes, à la fois financières, sociales et environnementales.

Bien que l’auteur évite toute appréciation morale sur l’évolution en cours, le livre fait frémir car le lecteur est bien obligé de reconnaître que l’histoire économique, sociologique, technique de ces cinquante dernières années est présentée de façon réaliste et cohérente.

À chaque crise, le capitalisme spéculatif a pu amener la plupart des acteurs à regarder un nouvel horizon et à faire converger leurs efforts et leurs comportements pour que se réalise cet Avenir présenté comme inéluctable, scientifiquement certain et porteur d’un meilleur être possible.

À l’œuvre, il y a une technocratie spéculative, avec son élite qui oriente les flux financiers mondiaux et ses niveaux intermédiaires et d’exécution. Nul pouvoir central suprême identifié, mais un système complexe qui s’entretient lui-même, en y trouvant et son intérêt et la justification de sa pérennité.

Gomez explique comment à chaque étape, c’est un narcissisme individualiste qui est promu, avec au bout du chemin la perspective que l’homme, prisonnier d’un labyrinthe dont personne n’a le plan, se perde dans la honte d’être entièrement dépendant de robots plus efficaces que lui. En ayant en plus saccagé la planète.

Heureusement, il y a un épilogue, et le lecteur doit aller jusque-là pour pouvoir relire le livre. Gomez invite à voir tout ce qui bouge pour éviter le rouleau compresseur. Aucune méthode miracle, mais simplement construire un « avenir serein, à défaut d’être radieux », en retissant des liens multiformes pour sortir d’un déterminisme mortifère et « tramer une société qui continue de naître ».

Arnaud Laudenbach

L’esprit malin du capitalisme – Comprendre la crise qui vient – Pierre-Yves Gomez – Desclée de Brouwer – 2019 – 295 pages – 17,90 €