(dr) Lucile Leclair

Qwant, l’autre moteur de recherche, parie sur l’Europe et le respect de la vie privée

Indexer toute la toile, trier, classer, référencer pour donner un résultat pertinent à l’utilisateur, en conciliant respect de la vie privée avec efficacité, et en vivant uniquement du clic sur la publicité. C’est le pari fou que s’est donné Qwant qui a conquis 4 % des parts de marché en France en quelques années, devenant le deuxième moteur de recherche après Google. Responsables s’est immergé dans cette start-up de la French tech qui ne cache pas ses ambitions européennes.

Daniel a la trentaine, un sourire détendu dans une barbe taillée. « Je suis militant », affiche-t-il sans détour. Sans banderole ni mégaphone, il pratique son militantisme avec un simple ordinateur. Il ne descend pas dans la rue mais lutte ici, dans les locaux de Qwant, « contre l’utilisation des données de la vie privée ». L’entreprise, située dans le XVIème arrondissement de Paris, a créé un moteur de recherche internet qui « protège ses utilisateurs » : les données personnelles issues des recherches sont des secrets bien gardés qui ne sont pas revendus. Ils ne servent qu’aux employés pour améliorer la performance de l’outil. Ce que cela change pour l’utilisateur ? Il n’est pas “ciblé” dans ses goûts et ses tendances, puisque « l’historique de ses recherches est effacé ». Donc les résultats qui s’affichent à l’écran sont neutres. Une politique de confidentialité permettant de surfer librement et sans être « traqué par des traceurs ou cookies publicitaires ».

Éric Léandri, 46 ans, est l’un des co-fondateurs. Il est 13h et le PDG avale un sandwich, avant de nous partager sa vision. Pour lui, il existe un « droit à la vie privée » et c’est ce modèle qu’il veut voir grimper sur le marché. « Soit on travaille pour la neutralité du net, soit on réalise le rêve des GAFA – Google, Apple, Facebook et Amazon – qui collectent un tas de renseignements, le fait que vous soyez chrétien ou musulman, hétéro ou homo, de droite ou de gauche par exemple… Si au contraire vous arrêtez de céder vos données à ces plateformes, elles vont, très rapidement, se retrouver dans une espèce de no man’s land. »

Pour réussir le pari du respect de la vie privée, le start-upper, qui a débuté sa carrière comme ingénieur informatique spécialisé dans la sécurité des réseaux à Londres, se lance après deux ans de recherches en 2013. Et décroche, pour démarrer le moteur Qwant, une aide de l’Union européenne, « un prêt de vingt-cinq millions d’euros de la banque européenne d’investissement en 2016. » Qwant se perfectionne et modernise sa page d’accueil, grâce aux investissements qui viendront également de la Caisse des dépôts et du groupe de presse allemand Axel Springer devenu actionnaire à hauteur de 20 % et partenaire technique conséquent. Pour exister en tant que moteur de recherche sur internet aujourd’hui, il y a un prix à l’entrée, souligne Éric Léandri. Avec « 89% des parts de marché en France », Google domine. Il faut une technologie de pointe pour le concurrencer.

Le PDG rappelle que « Amazon a touché 5 milliards de dollars des États-Unis » dans ses premières années. Pour pousser les entreprises qui grandissent sur le sol européen, « l’Union a un rôle à jouer », dit celui qui dénonce le « European bashing » et croit au pouvoir de l’Europe y compris dans sa mission de régulateur. La « Digital Services Tax » ou taxe sur les GAFA pour la contribution des géants du Web aux dépenses publiques, portée par la France à Bruxelles, permettrait de taxer les recettes publicitaires des géants du net à hauteur de 3 %. Mais faute d’un consensus européen, son avenir ne semble guère assuré.

Quand il parle de la percée de son entreprise – 2 millions de pages lues par jour – c’est pour avancer les objectifs à l’horizon 2021. « 5 à 10% du marché européen. » Faire de Qwant une alternative crédible à Google passe par un sérieux travail d’équipe. « Nous sommes 160 », annonce-t-il avant de confier que ses collaborateurs constituent pour lui une puissante source d’inspiration. Il mentionne le nom de Tristan Nitot, « un ancien de Firefox », star reconnue dans le milieu.

Christophe est l’un des ingénieurs chercheurs recrutés par l’entreprise. Ce qu’il cherche ? « Les meilleurs détecteurs d’intention, les meilleurs extracteurs d’information d’une page web. » Pour cela, « nous mettons au point un robot » qui à partir d’algorithmes complexes, classe les résultats d’une recherche sur la toile. L’écran d’ordinateur de Christophe ressemble à une suite de chiffres incompréhensibles à l’œil non initié. Pas de doute, on est chez les matheux. “Qwant” tire sa première lettre du mot “Quantités” et désigne la masse de données que le robot parcourt chaque jour sur les sites internet à intervalles réguliers. “Want” de l’anglais “vouloir”, se réfère à la requête de l’utilisateur.

Les internautes sont de plus en plus nombreux à utiliser Qwant qui a fait des petits : Qwant Junior, moteur de recherche sans contenus violents ni publicité.

Lucile Leclair


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